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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/662

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duquel est le cratère, est élevé de deux mille cinq cents mètres audessus de la mer et forme toute l’île de Pico. IL est rare d’eN voir le sommet complètement dégagé de nuages ; aussi ai-je profité de cette occasion pour le regarder longtemps et beaucoup. À mesure que nous avancions, la montagne grandissait, et les détails devenaient plus distincts. Ses flancs sont couverts d’une quantité d’autres petits cratères, mais aucun ne fumait pour le moment. Deux heures après, nous étions tout près des racines du volcan ; mais un rideau de brouillard le cachait pour toute la journée.

Après déjeuner, on part sur la Mouche pour faire la chasse aux pigeons le long de la côte, falaise de lave noire qui entoure comme d’une muraille l’île de Fayal. Les amas de roches volcaniques, rongés par l’action de l’Océan, ont formé des fissures, de larges crevasses et des grottes profondes où la mer s’engoufFre avec fracas. Ces trous, ces corniches naturelles sont un lieu de refuge pour les pigeons sauvages et les oiseaux de mer qui nichent là par millions. Pendant que le prince, parti avec Brunet dans le youyou que nous traînions à la remorque, fait un massacre de ces habitans de l’air, ou s’occupe, sur la Mouche, à rappeler à la vie un petit oiseau de mer que la peur avait fait tomber de son nid. Le berceau de papier et d’étoupe que j’avais improvisé ne rappelait pas du tout le sien ; mais il s’y habituait si bien qu’au bout d’une heure il était gaillard et bien portant. Il s’enhardit même jusqu’à ouvrir un grand bec jaune fendu jusqu’aux yeux pour avaler la pâtée de biscuit de mer que je lui donnais. La princesse daignait s’intéresser au sort de l’orphelin ; mais je l’ai confié à un matelot, et j’ai grand’peur qu’il ne l’ait mangé.

Au bout de trois heures, les chasseurs, après avoir épuisé toutes leurs munitions, reviennent avec leur butin, et nous retournons au yacht tous plus ou moins cuits par le soleil ; mais ce n’était pas désagréable.

Ce soir, Ragon et moi parcourons la ville d’Horta d’un bout à l’autre. Les rues sont tristes, pavées de gros galets pointus ou de larges dalles disjointes ; pas une voiture. Quelques femmes, enveloppées de leur long manteau bleu, passent comme des fantômes. L’ensemble de la ville n’est pas plus gai que le détail : les maisons et les édifices publics sont bâtis en lave noire ; mais tout ce qui n’est pas arête ou encadrement de porte ou de fenêtre est blanchi à la chaux ; des balcons de bois peints en vert sombre, des toits plats en tuile ronde, sans cheminées, quelques boutiques, je devrais dire des caves, dans lesquelles on descend par trois marches. Nous flânons jusqu’à huit heures du soir par les rues désertes et silencieuses. Il n’y a pas un réverbère dans toute la ville ; toutes les portes sont