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fermées, tout est éteint, tout dort, hormis deux bourgeois, gens dissipés sans doute, qui, un fanal à la main, regagnent sournoisement leur logis.

13 juillet. — Trop de murs d’enclos autour de la ville. Désespérant de trouver une vue quelconque, je m’enfonce dans un ravin et dans le lit même d’un torrent tapissé de lycopodium brasiliensis (la mousse de nos serres). Un reste d’eau forme une mare où des lavandières, comme les lavandières de tout pays, battent leur linge et couvrent le bruit des battoirs en parlant fort et toutes à la fois.

Après une heure de marche dans un chemin de sable et de cailloux, de plus en plus encaissé, je m’arrête et pour cause. La terre manque tout à coup sous les pieds, et je me trouve au bord d’un précipice qui doit former une belle cascade à la saison des pluies. Je domine la ville d’Horta, avec une vue magnifique. En face de moi, le volcan de Pico, la tête perdue dans les nuages, et à gauche l’île de San-Jorge, séparée par un bras de mer que l’on peut prendre pour une vaste baie, me rappellent par leur disposition la rade de Toulon, qui restera, je crois, dans mon souvenir comme une des plus belles marines du monde. J’ai cherché à butiner comme partout, mais le pays est pauvre en insectes et en plantes indigènes. Les beaux jardins du docteur d’Oliveira, de MM. Guerra et Kibeiro sont en revanche remplis d’essences européennes et africaines d’un grand intérêt.

On lève les ancres à six heures. — Un vaisseau russe nous souhaite bon voyage en s’illuminant de feux de Bengale : nous lui rendons sa politesse en lui envoyant des fusées ; il nous remercie à son tour en poussant des hourras à réveiller toute la ville d’Horta, plongée déjà dans le sommeil.

14 juillet, en mer. — Je ne sais si tu te rappelles mes chenilles de sphinx trouvées au bord de la mer à Alger, Ce matin, en vue des Açores, j’ouvre sans précaution la boîte où elles s’étaient transformées en chrysalides. J’ai à peine le temps d’admirer un gros papillon qui vient d’éclore, très frais, très rosé et marbré de vert sombre, qu’il s’élance par la cabine en se cognant la tête contre les parois ; je cherche à le rattraper, mais l’enragé nouveau-né s’est orienté, il a vu ou senti le hublot entrouvert, il passe triomphant devant mon nez et disparaît. J’avais envie de crier : Un papillon à la mer ! mais personne ne se fût dérangé, et d’ailleurs mon fugitif n’avait besoin de personne pour se préserver des flots. Me voilà livré pourtant à des inquiétudes sur son compte. Le sentiment paternel se réveille en moi ; puisque je n’ai pu lui passer une épingle au travers du corps, il faut bien que je fasse des vœux pour cet être que les dieux protègent. Pourra-t-il gagner la terre ? Oui probable-