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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/731

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de mauvais goût littéraire ou oratoire qui le maintint toujours en dehors du progrès qui commençait sous Louis XIII à se produire, soit dans la chaire, soit dans la littérature.

Comme prédicateur, il était rangé, même de son temps, parmi les excentriques, parmi ceux qui continuaient encore, au XVIIe siècle, le genre bouffon des sermonnaires macaroniques des Menot et des Maillard. Sans être aussi grotesque que son contemporain le petit père André, il l’était encore assez pour qu’on ne puisse pas dire, comme on l’a dit, que son mauvais goût ne dépasse pas la mesure du mauvais goût de son époque. Tallemant, qui n’est pas très difficile en fait de goût et qui estime beaucoup et avec raison les vertus et l’esprit, de l’évêque de Belley, est cependant frappé lui-même du caractère de sa prédication, car il nous dit : « Il prêche un peu à la manière d’Italie[1] ; il bouffonne sans avoir dessein de bouffonner : il fait des pantalonnades quelquefois, mais il reprend bien les vices et est toujours dans le bon sens. Un jour il rencontra en son chemin le chevalier Bayard ; il ne fit plus que parler de lui et oublia tout le reste. Une autre fois il fit je ne sais quelle comparaison d’un berger qui paissait ses brebis dans un vallon ; il se mit à décrire ce vallon, puis un bois, puis un ruisseau, et à la fin, revenant à lui : Messieurs, dit-il, je vous ai menés bien loin, mais je vous y ai menés par des chemins bien agréables. ».

Ce témoignage de Tallemant s’accorde parfaitement avec l’impression que nous donne la lecture des sermons de Camus. Ce n’est pas le fond de la doctrine du prédicateur qui est déraisonnable, et sous ce rapport Tallemant est dans le vrai en disant : « Il reprend bien les vices et est toujours dans le bon sens. » C’est la forme qui trahit sans cesse les intentions de l’orateur. Là où il veut, toucher, il bouffonne, sans avoir, comme dit Tallemant, « le dessein de bouffonner. » De même, quand il veut édifier, il ne se trompe pas sur le mauvais côté de la nature humaine, mais il présente le vice avec des détails si naïvement minutieux et si dégagés de tout voile, qu’il s’expose souvent à produire un effet diamétralement contraire à celui qu’il cherche.

Tous les ana du XVIIe siècle citent de Camus des saillies assez fines quelquefois, souvent hardies, plus souvent burlesques, soit contre les moines, qu’il n’aimait, pas, ou du moins qu’il n’aimait guère, tels qu’ils étaient sous Louis XIII[2], soit contre les courtisans ou les financiers, qu’il n’aimait pas davantage. Ces saillies

  1. On sait que c’est un prédicateur italien du XVe siècle, Barletta, qui passe pour avoir, non pas inventé, mais largement répandu le goût des sermons grotesques.
  2. Il exprimait ce sentiment à sa manière en disant dans un de ses sermons : « Dans les anciens monastères, on voyait de grands moines, de véritables religieux ; à présent, illic passeres nidificabunt, l’on n’y voit que des moineaux. »