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ont été tant de fois reproduites, qu’il nous paraît inutile de les citer de nouveau ; d’ailleurs ce n’est pas le prédicateur que nous étudions dans l’évêque de Belley, c’est le romancier, et nous trouverons dans ses romans toutes les qualités et tous les défauts de sa prédication.

Comment vint à l’évêque de Belley l’idée d’écrire des romans, d’amour édifians ? Cette idée lui fut inspirée par la lecture de l’Astrée, qu’il admirait beaucoup. « Qui considérera bien l’Astrée, dit-il dans son ouvrage sur saint François de Sales, et en jugera sans passion reconnaîtra qu’entre les romans et livres d’amour, c’est peut-être l’un des plus honnêtes et des plus chastes qui se voient. » Nous avons constaté en effet, en comparant l’Astrée à l’Amadis, que le roman de d’Urfé méritait cet éloge de Camus ; mais nous avons constaté aussi qu’il offrait encore un certain nombre de situations et de tableaux sensuels, et même parfois indécens, qui expliquent la réserve avec laquelle l’évêque de Belley exprime une préférence plutôt qu’une adhésion absolue. La grande faveur dont jouissait ce roman auprès du public détermina le bon évêque à essayer de lui faire concurrence dans l’intérêt de la religion et de la morale. « Il chercha, nous dit Perrault[1], les moyens de faire diversion en composant des histoires où il y eût de l’amour, et qui par là se fissent lire, mais qui élevassent insensiblement le cœur à Dieu par les sentimens de piété qu’il y insérait adroitement, et par les catastrophes chrétiennes de toutes leurs aventures. »

Camus nous apprend lui-même qu’il fut encouragé dans son entreprise, et par son ami saint François de Sales, et par d’Urfé, avec qui il était également lié. « Outre le conseil de notre bienheureux père, qui me donna, nous dit-il, comme de la part de Dieu, la commission d’écrire des histoires dévotes, ce bon seigneur (d’Urfé) n’eut pas peu de pouvoir par sa persuasion d’y animer mon âme, me protestant que, s’il n’eût point été de la condition dont il était, pour une espèce de réparation de son Astrée, il se fût volontiers adonné à ce genre d’écrire, pour lequel il avait beaucoup de talent. »

Une fois persuadé qu’il entrait dans sa vocation d’écrire des romans pieux, le bon évêque se précipita dans ce genre de composition avec sa vivacité, sa facilité et sa fécondité accoutumées. Si l’on en croit Tallemant, il composait les plus courts de ses romans en une nuit, les plus considérables en quinze jours. Comme romancier, Camus peut revendiquer sa petite part d’innovation, même à côté de d’Urfé, dont il n’est pas le servile imitateur. Celui-ci avait peint des gentilshommes et de grandes dames du règne de Henri IV, déguisés, les uns en bergers et en bergères fantastiques, les autres

  1. Voyez ses Hommes illustres, dans l’article consacré à Camus.