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grec. La jeune princesse de Foix, ne pouvant parvenir à attirer son attention, le suit à son départ pour les Canaries en se présentant à lui sous un costume viril et comme un jeune musicien qui a des chagrins de cœur. Polexandre, qui trouve sa voix fort belle et qui la prend pour un homme, l’emmène dans son vaisseau, et cherche à la guérir de cette passion dont l’objet lui est inconnu en lui tenant des discours belliqueux et stoïques qui ressemblent à du mauvais Corneille en prose, mais enfin à du Corneille. « Donnez à votre âme, lui dit-il, un objet qui soit digne d’elle : rendez-la amoureuse de la gloire et de l’immortalité. Prenez l’exercice des armes pour le contre-poison de la mélancolie qui vous dévore, et au lieu des pleurs que vous versez, versez le sang de vos ennemis… Laissons aux femmes ce qui est propre aux femmes… Le fard qui nous sied le mieux, c’est la poudre, la sueur et le sang dont nous sommes couverts dans les combats, et les blessures qu’on y reçoit sont les beautés et les charmes qui doivent toucher les cœurs généreux. Je vois bien que vous condamnez ce sentiment, mais je n’y saurais que faire ; je suis barbare jusque-là[1]. » Ce jeune barbare va bientôt se transformer en un Céladon héroïque livré tour à tour à des prouesses guerrières et à des roucoulemens d’amoureux transi ; mais ce n’est pas à l’infortunée princesse de Foix qu’il est réservé d’opérer cette métamorphose. Dans l’espérance de lui plaire, celle-ci prend le parti de se faire tuer bravement à côté de lui dans un combat naval, et alors seulement Polexandre apprend son nom, son sexe et la passion qu’elle nourrissait pour lui ; mais, comme il est encore barbare, il la pleure assez légèrement.

Une fois que son amour pour Alcidiane l’a poussé à courir les mers, le cercle de ses relations s’étend démesurément, et non sans occasionner une certaine fatigué au lecteur, qui s’embarrasse un peu à travers tant d’événemens, de pays, de récits, de personnages divers ; mais là commence aussi un véritable intérêt pour les esprits curieux d’observer comment le goût de la vraisemblance s’introduit peu à peu dans les fictions romanesques. Polexandre se lie successivement avec des héros péruviens, mexicains, marocains, turcs, danois, avec des chefs de corsaires et même avec des nègres de Tombouctou (Thumbut), chez lesquels il vit un instant prisonnier. Tous ces héros sont amoureux comme lui, soit de l’incomparable Alcidiane, soit de quelque autre beauté non moins incomparable, et ils le sont de la même façon que lui, avec le même langage alambiqué et faux, ce qui est parfaitement désagréable ; mais quand une fois on s’est résigné à subir ce signalement obligé du héros de roman

  1. Polexandre, t. II, p. 529.