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au contraire une des conditions les plus indispensables de la parfaite connaissance des affaires. Or ces vues de l’assemblée n’ont point été démenties par l’expérience. Nous avons dans nos magistrats non-seulement de bons jurisconsultes, mais des hommes tellement familiarisés avec l’étude des transactions qu’ils en saisissent les variétés infinies avec une grande précision et une admirable sûreté de coup d’œil. Nos recueils de jurisprudence sont un monument que ne possède aucun peuple. Des esprits superficiels peuvent être choqués des diversités que présentent les décisions de justice et de la multitude d’espèces qu’un même ordre apparent d’opérations ou d’affaires peut faire naître. Cette impression n’est point celle des hommes qui observent mieux les choses, et savent les formes multiples que prend une convention, les fausses couleurs dont la fraude sait trop fréquemment la couvrir pour échapper à la loi, et combien la volonté, la véritable pensée des contractans est souvent loin de ce qui a été dit ou écrit. Comment arriver à ce discernement parfait des transactions, à cette application nuancée des textes qui conviennent à l’acte, au fait litigieux, si ce n’est par une longue étude et la pratique suivie des affaires ?

Sur ce point, il est permis de douter que le jury anglais soit le dispensateur d’une bonne justice ; la séparation du fait et du droit n’est point ici une sauvegarde suffisante, et ne saurait mettre obstacle aux nombreuses erreurs qui peuvent à chaque instant se commettre. Un orateur pensait autrement à l’assemblée constituante, et, pour démontrer de quelle manière le jugement séparé des questions de fait par le jury et des questions de droit par les magistrats simplifiait les choses, il prenait cet exemple : « Quelle est la nature de la vente ? Voilà ce qui appartient à la loi et aux juges. — N’avez-vous pas vendu ? Cette question appartient aux jurés. » Il ne s’apercevait pas que la distinction était bien plus propre à frapper un jurisconsulte qu’un homme du monde, et que fort souvent le point de droit ne peut matériellement se séparer du point de fait. Qu’arrive-t-il donc devant le jury anglais ? C’est que parfois la question posée ne répond pas exactement au point véritable du litige, c’est que les causes se trouvent enserrées dans une formule qui devient invariable dès qu’elle est admise, et dont ne peuvent plus sortir ni le jury ni les parties, alors même qu’un fait nouveau vient à surgir du débat, ce fait fût-il de nature à modifier la question soumise au jury. Il y a longtemps que les imperfections de la justice civile en Angleterre ont été signalées par William Paley, par Bentham lui-même, et de nos jours ces critiques n’ont rien perdu de leur valeur. Nous pouvons donc avec un incontestable avantage opposer nos magistrats au jury anglais dans la connaissance des affaires d’intérêt