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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/846

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privé, nos tribunaux aux assises civiles de chaque comté, et nous sommes peu surpris qu’en 1848, où tant de systèmes étaient mis au jour en toute chose, les quelques voix qui s’étaient élevées pour demander le jury au civil soient retombées dans l’isolement et le silence.

Notre juridiction criminelle serait-elle restée au-dessous de la juridiction anglaise ? Nous ne le pensons pas non plus. Deux choses remédient à tout en Angleterre, la liberté de la presse et l’indépendance absolue de la magistrature. Qu’on suppose affaiblie l’une ou l’autre de ces garanties, que serait la justice criminelle au-delà de la Manche ? Là point de ministère public, point d’instruction proprement dite. L’attorney-general de Londres n’est pas un magistrat, c’est un avocat distingué désigné par le souverain pour le représenter dans les affaires qui intéressent l’état et la couronne ; il ne poursuit d’office que les crimes de haute trahison. Les coroners ne s’occupent que du meurtre. Pour les autres crimes et pour les délits, la poursuite est abandonnée aux parties intéressées. Il dépend ainsi du premier venu de saisir la justice et de servir sa vengeance par des actions téméraires. Ce qui se passe en France devant les tribunaux correctionnels, où le droit de citation directe est admis entre parties, nous indique assez à quels abus cela peut donner lieu. Il y a peu d’années, lord Brougham a vivement réclamé l’institution du ministère public ; mais il n’a pu triompher des vieux us, qui en Angleterre arrêtent à la fois le bien et le mal. Nous devons reconnaître qu’en France l’instruction est beaucoup plus lente qu’en Angleterre. Qu’importe cependant, si elle est mieux faite ? Quelle que soit l’honorabilité des juges de paix dans chaque comté, il est bien permis de dire qu’ils ne valent pas nos juges d’instruction : ce sont pour la plupart de riches propriétaires, sans connaissances spéciales, et qu’anime uniquement le désir de bien faire et d’apporter en tout une incontestable loyauté, ce qui ne suffit pas toujours à l’œuvre de la justice. D’un autre côté, si nous n’avons plus de jury d’accusation, comme en Angleterre, nous possédons des chambres de mise en accusation composées de magistrats éclairés, versés dans la pratique, du droit criminel, et qui peuvent assurément soutenir la comparaison avec les notables du grand jury. Nous opposera-t-on la composition des cours d’assises anglaises, dites cours de nisi prius ? Elle n’a rien qui puisse exciter notre envie. Quand il s’agit de prononcer sur la vie d’un accusé, de le priver de sa liberté pour un temps plus ou moins long, nous aimons mieux que trois magistrats au lieu d’un seul soient appelés à rendre la décision, et quant aux incidens de procédure qui peuvent naître au cours du débat, il nous semble qu’ils n’ont également rien