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de penser à ce que ces lieux deviendraient s’ils étaient traités à la manière des ruines de Pompéi, c’est-à-dire méthodiquement déblayés, si une main savante et hardie rasait toutes ces baraques odieuses qui offusquent tout, et creusait le sol jusqu’au niveau des fondations de tout ce que les Romains ont élevé de Romulus à Constantin. Supposez que l’on commençât par délivrer le Tabularium de ce gros quadrangle sans style, sans date, sans apparence d’architecture, qui surcharge l’auguste voûte, et qu’au lieu de ce vulgaire bâtiment digne d’une municipalité vulgaire, une large terrasse le couronnât, servant au levant de pendant à la cour du nord-ouest, et devînt la plate-forme centrale d’où l’observateur contemplerait ce cœur de l’antique Rome. Puis on irait nivelant devant soi à perte de vue, ne respectant que les inégalités et les pentes de l’ancien pavage romain, considéré comme le terrain naturel, en sorte que les monumens, ou plutôt ce qui en reste debout, pourraient être vus des points où les voyaient ceux qui les ont bâtis. Consalvi voulait faire abattre les deux églises qui avaient arrêté les Français dans leur partielle restauration du Forum de Trajan, la plus belle toutefois que l’on ait faite à Rome ; mais, sans imiter un homme d’esprit à qui ses successeurs en trouvaient trop, on peut beaucoup abattre et beaucoup déterrer en respectant ces églises, qui, renfermant souvent elles-mêmes des fragmens d’antiquités, forment les monumens composites des époques, des pensées et des civilisations les plus diverses. Qui empêcherait de nettoyer tout l’espace encombré de masures où, non loin de l’ancien Comitium, point de départ du patriciat romain, on place le Secretarium Senatus la Basilica AEmilia le Forum de Jules César, fallût-il aller jusqu’aux ruines du temple de Mars Vengeur, pour retirer les magnifiques colonnes du portique de Pallas Minerva ou du Forum Tramitorium des trois ou quatre mètres de boue dans lesquels elles restent plongées ? Tout cet ensemble confus de ruines qui viennent du Forum de Nerva, quoique mutilées encore au XVIIe siècle par Paul V, qui abattit le portique du temple, se détacherait dans le vide, et irait rejoindre sans interruption la basilique Ulpienne et la colonne Trajane.


IV

Maintenant, nous le demandons, croit-on qu’il soit facile de s’orienter au milieu de ce riche amas de débris et de souvenirs ? Le temps est un ingrat qui ne respecte pas la chronologie ; il frappe et il épargne avec caprice. Il entasse les unes sur les autres les couches-diverses du passé, et quand, errant parmi ces décombres d’âges si divers, on cherche sur l’un d’eux le nom de Trajan, on