Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/645

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur répondit avec mépris : « À Dieu ne plaise ! ces ombrages sont impurs ; ce chêne n’est qu’un gland corrompu, car enfin, pour devenir un arbre, il a fallu que le gland pourrît, et l’arbre qui est né de sa corruption n’a pu grandir qu’en s’engraissant de substances étrangères ; il s’est nourri de tous les sucs immondes de la terre, il a bu toutes les eaux souillées que lui versaient les nuages. Et que d’affronts n’a-t-il pas essuyés ! Il a été meurtri de la grêle, insulté des autans ; un jour la foudre a fracassé l’une de ses branches, — et pour consommer son déshonneur, regardez ces mousses, ces champignons vénéneux qui s’attachent à son tronc vermoulu !… » À ces mots, cet homme alla s’asseoir à l’écart ; tirant de sa besace un gland encore enveloppé de son chaton, il l’éleva dans l’air, le mit entre le soleil et lui, et, suant à grosses gouttes, il disait aux oiseaux et aux bergers : « Venez ici, voilà l’ombre qui vous convient ! » Telle est l’histoire de Luther accusant la Rome de Léon X de n’être que la corruption de l’Évangile et la sommant de rebrousser le cours de quinze siècles pour rentrer dans le chaton de l’église primitive.

L’attaque inopinée de Luther mit l’église en péril. Quand deux doctrines sont aux prises, la plus simple, la plus grossière a de grands avantages sur celle qui a des aspirations plus hautes, plus étendues, et qui, reposant sur des principes complexes, s’occupe de chercher des conciliations que le vulgaire prend volontiers pour des inconséquences. Le programme de Luther : « l’Évangile ! rien que l’Évangile ! plus de sacerdoce !… » avait une simplicité spécieuse propre à captiver les esprits. Cela était plus aisé à comprendre qu’une philosophie de la religion fondée sur l’étude des mythes et de Platon ; cela semblait plus conséquent qu’une théologie qui, effaçant la distinction du profane et du sacré, prétendait confirmer l’autorité de la tradition apostolique par celle d’Orphée et des sphinx même de l’Egypte. D’ailleurs, pourquoi le nier ? les pensées les plus hautes sont les plus sujettes à être mal interprétées ; les passions les défigurent, leur font subir des altérations frauduleuses. Le platonisme chrétien mal entendu avait jeté beaucoup d’esprits dans de funestes erreurs. L’antiquité réhabilitée eut ses fanatiques et ses idolâtres ; de principes vrais on tira de fausses conséquences : Ficin avait cru à l’influence des planètes et à la puissance de la magie ; des interprètes infidèles de sa doctrine expliquèrent par la magie tous les miracles du Christ, et attribuèrent à des conjonctions d’astres la naissance du christianisme. D’autres conclurent de l’analogie de toutes les religions à leur égalité, et, se posant en arbitres de tous les dieux, affectèrent une impartialité qui n’était qu’une indifférence mal déguisée. D’autres encore perdirent de leur respect pour l’Évangile, parce que la sagesse humaine en avait pré-