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paré l’avènement, et plutôt que de voir de l’inspiration partout, ils trouvèrent plus commode de n’en voir nulle part. C’est ainsi que l’église s’était affaiblie en s’agrandissant, et l’on eût dit qu’en reculant les bornes de la vérité elle en avait ébranlé les fondemens. De toutes ces aberrations dangereuses dont elle n’était point complice, Luther se fit des armes contre elle, et sa voix tonnante dénonçait dans tout le monde les corruptions de Sodome, Juda converti à Baal, et les forfaitures de la nouvelle Babylone, sentine de tous les vices, réceptacle de tous les mensonges…

Déjà le lion rugissant s’apprêtait à dévorer l’église. La papauté sentit toute l’étendue du péril ; elle n’hésita pas à prendre un parti extrême, et, ne consultant que les intérêts de son salut, auquel est attaché le salut du genre humain, elle lui sacrifia tout, la vérité même. Cruel holocauste ! Mais que ne doit pas l’église au salut des hommes ! Dans cette rencontre, semblable à un général dont l’armée occupait un front trop étendu, et qui, abandonnant à regret des positions impossibles à défendre, ramasse toutes ses troupes dans un lieu fort, on la vit laisser en proie à l’ennemi qui la menaçait toutes ses récentes conquêtes, encore mal affermies, et se vouer tout entière à la défense de son antique héritage. Par le concile de Trente elle réduit sa doctrine au vieux dogme traditionnel, dégagé de toute alliance avec la philosophie et de ces lumières nouvelles qu’elle avait puisées dans l’antiquité rajeunie ; elle renonce à ces agrandissemens dont elle faisait gloire, elle se renferme et se retranche dans sa vieille enceinte, où elle est sûre que l’ennemi ne pourra la forcer. En même temps, par l’institution des jésuites, elle rétablit la discipline dans sa propre armée, dont les mutineries l’effraient, elle combat la licence des opinions et fait rentrer dans le devoir ces intelligences hasardeuses qui, se réclamant d’elle, la compromettaient par leurs aventures. Les chevaliers de Jésus se font maîtres d’école ; ordre nouveau, ils sont de leur siècle, ils savent quel langage il faut lui parler pour s’en faire écouter ; ils connaissent les besoins, les désirs inquiets qui le travaillent, et ils s’appliquent non à les satisfaire, mais à les tromper. Ces magisters complaisans n’ont garde de heurter de front la renaissance ; mais ils savent si bien la prendre, qu’elle se réduit par leur conseil aux proportions d’un événement littéraire. De quoi s’agit-il après tout ? D’aller chercher dans Platon des rayons de lumière divine, de reconnaître la voix de Dieu dans les oracles de l’antique sagesse ? À Dieu ne plaise ! Le concile de Trente et le vieil Aristote des scolastiques suffisent à satisfaire toutes les curiosités de l’esprit. Seulement il est bon de lire Virgile et Cicéron pour apprendre d’eux à orner son langage et son style. — Laissez-nous faire ! — disent ces