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et si humiliantes conditions, quand on ne lui en a pas imposé de telles même dans l’année 1854, où les événemens auraient pu les justifier ? D’où vient que dans le même moment on la prise et si haut et si bas, — si bas, puisqu’on ne semble pas la croire capable de garder sa parole, si haut, puisqu’on ne pense avoir sauvegardé la paix de l’Europe qu’en prenant contre elle des précautions semblables à celles qu’en 1856 on a prises contre un colosse tel que la Russie ? A-t-elle manqué à ses engagemens internationaux pour qu’on la tienne en suspicion ? Bien au contraire, et l’Europe devrait rendre justice à la conduite qu’elle a tenue depuis un an. Si des fautes et des désordres se sont produits à l’intérieur pendant le long interrègne qu’elle a traversé, la Grèce a fait preuve dans les affaires extérieures d’une sagesse et d’une fidélité à ses engagemens que l’on était loin d’attendre. Aucune agression n’a été dirigée contre la Turquie, quoiqu’il eût été facile et séduisant de détourner de ce côté l’esprit d’agitation qui faisait courir tant de dangers au pays, et les nombreux gouvernemens qui se sont succédé en douze mois ont droit à ce témoignage qu’aucun d’eux n’a essayé de troubler la paix de l’Europe par des aventures extérieures.

On dit encore que le traité n’a pas été fait en vue d’une guerre de gouvernement à gouvernement entre la Grèce et la Turquie, guerre impossible à moins d’événemens qui mettraient à néant toutes les conventions diplomatiques. La neutralisation des Iles-Ioniennes, telle qu’elle a été réglée, a pour but de prévenir le départ d’expéditions garibaldiennes qui voudraient prendre Corfou pour base d’opérations. Ici comme pour la démolition des forteresses, il sera facile de prouver que les dispositions du traité ne peuvent avoir pour résultat que de rendre plus praticable ce qu’on a voulu prévenir. Si l’Europe eût remis les forteresses de Corfou au roi des Hellènes, qui, pour les garder, aurait dû y tenir une nombreuse garnison, le gouvernement de ce prince eût reçu par là même l’obligation morale de veiller à ce que la nouvelle condition du pays ne devînt pas une source de troubles et de complications, il en eût été responsable devant l’Europe, et il aurait eu le pouvoir d’y tenir la main d’une manière efficace. Les dispositions arrêtées à Londres, en le rendant impuissant, lui enlèvent toute responsabilité. Lorsqu’il n’y aura plus de garnison à Corfou, cette île deviendra forcément un sujet d’inquiétudes perpétuelles pour l’Europe. Comment empêcher en effet que tous les aventuriers de la race grecque ne s’y donnent rendez-vous, à l’abri de la neutralité, pour y préparer d’aventureux coups de main contre les provinces ottomanes ? Sera-ce les quelques gendarmes que le traité autorise le gouvernement grec à y entretenir qui suffiront pour les surveiller et pour les