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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/136

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mettre hors d’état d’y réunir des bandes armées ? Il est même impossible d’admettre qu’en des circonstances pareilles les intrigues des Grecs impatiens de réaliser la grande idée soient les seules dont Corfou devienne le foyer. Sur ce point d’une importance si haute, et où le gouvernement n’aura aucune force réelle, on verra se rassembler tous les aventuriers et tous les flibustiers de l’Europe. Que le parti d’action de l’Italie veuille par exemple remettre en avant ses anciens projets d’attaque sur les derrières de l’Autriche par la Turquie, c’est maintenant Corfou qu’il prendra pour centre et pour point de départ, et le gouvernement grec, les mains liées par le traité du 14 novembre, se verra dans l’impossibilité d’entraver les démarches de ce parti dangereux, comme a pu le faire le gouvernement italien.

On peut bien admettre les préoccupations de la diplomatie pour la sécurité de l’empire du sultan, même quand on serait loin de partager l’intérêt sympathique dont elle fait preuve en toute occasion pour la machine barbare et vermoulue de la Turquie ; mais ne fallait-il penser qu’à la Turquie dans cette affaire ? L’intérêt et la sécurité des habitans de Corfou n’étaient-ils pas des considérations qui méritaient d’entrer en ligne de compte ? Corfou n’est en effet distante que de quelques milles de la côte albanaise. En face habite une population toute musulmane, belliqueuse, pillarde, où la plupart des hommes sont adonnés au brigandage, et sur laquelle le gouvernement turc n’exerce aucune autorité réelle. Croit-on que lorsque les bandits schkypétars de Butrinto, de Conispolis et de Delvino verront devant eux, sans garnison sérieuse et sans défense, ouvertes au premier venant, la riche cité de Corfou et les campagnes environnantes, ils résisteront à l’appât d’une si belle proie ? La Grèce, depuis trente ans qu’elle existe, est obligée de tenir constamment 6,000 hommes de troupes sur les frontières qui la séparent de la Turquie, pour empêcher les brigands de l’Épire et de la Thessalie de venir ravager ses provinces ; encore, avec un tel déploiement de forces, n’y réussit-elle qu’imparfaitement. Comment supposer après cela que pour mettre Corfou à l’abri des incursions des brigands de l’Albanie, beaucoup plus redoutables encore, il ne serait pas de toute nécessité d’y maintenir une garnison égale à celle qu’y avaient les Anglais ? Dégarnie de troupes, l’île demeurera exposée à de tels ravages qu’elle ne sera plus habitable. Deux grands gouvernemens civilisés ont-ils le droit de sacrifier ainsi à des inquiétudes jalouses et mal fondées 70,000 individus, chrétiens et civilisés comme eux, qui ont mis leur confiance dans les décisions de l’Europe ?

D’ordinaire, lorsqu’une province nouvelle s’annexe à un autre état, elle sort du régime des traités de l’état auquel elle appartenait