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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/783

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LA BAGUE D’ARGENT.

si vous ne voyez point ce qu’il y a d’inconciliable en cela, ce n’est pas à moi de vous le faire voir. Je vous donne un bon conseil, et rien de plus. Si vous le suivez, vous cesserez de rêver ce mariage. Vous vous êtes faite enfin la captive du comte Lallia, puisque vous demeurez dans sa maison. Je vous avertis simplement que jamais, jamais il ne vous en laissera sortir.

— Ah ! comme vous vous trompez, madame ! fit Lucy avec un soupir de soulagement. J’ai vu le comte ce matin même.

— Cela n’a rien de surprenant, interrompit la baronne ; vous le voyez fréquemment sans doute ?...

— Je l’ai vu, répéta Lucy en la regardant, car elle se sentait ranimée, rassurée et vengée déjà plus qu’à demi, je l’ai vu. Je lui ai appris que mon intention était d’épouser M. Julien Dégligny.

— Je vous attends ! Vous allez peut-être me dire que sa parfaite amitié y consent.

— Mon Dieu ! fit Lucy en riant, je vous dirais bien... Mais vous ne le croiriez pas, madame... Le comte a pris feu pour un projet qui lui paraît si avantageux pour moi. Il voudrait vraiment que ce mariage fût déjà fait.

La sainte femme se dressa tout d’une pièce ; elle couvrit sa belle cousine d’un regard où jaillirent comme par une subite échappée toutes les flammes de l’enfer qu’elle lui souhaitait, qu’elle souhaitait au comte Lallia, qu’elle souhaitait volontiers d’ailleurs à tout l’univers ; puis elle se laissa retomber sur son siège en riant aux éclats d’un rire aigu, tranchant, implacable, qui brusquement s’arrêta.

— Je pense, dit-elle à Lucy, que vous n’avez jamais découvert, malgré vos recherches, le nom de l’homme qui, il y a six ans, quand vous habitiez encore chez moi, me demanda votre main.

— Jamais, dit Lucy sans méfiance. Cette fois vous ne vous trompez point, madame. Ce nom, je ne le connais pas.

— Oh ! reprit doucement la baronne, que je suis fâchée d’avoir cédé à cet accès de gaîté tout à l’heure ! Je n’en ai pas été la maîtresse. Il y a des rencontres si plaisantes !

— Mais, dit Lucy, quelle rencontre ? Et que me fait à présent le nom ?...

— Ce qu’il lui fait ? s’écria la baronne en se remettant à rire. Ne vous ai-je point dit alors que ce personnage avait des millions ? Et ne devinez-vous pas ?.,. Ce que ce nom lui fait ? Mais ce prétendant, c’était le comte.

— Lui ! le comte !

— Ah ! dit la baronne, qui se pâmait, j’en étais sûre ! il ne vous l’avait jamais dit !

Un nuage épais passa d’abord sur les yeux de la jeune femme.