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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/310

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Au point de vue religieux, le spectacle intérieur dans Saint-Pierre n’est pas édifiant. Les soldats du pape qui font la haie bâillent, se tournent, lorgnent les femmes qui passent. Pendant toute la messe, les assistans circulent, causent à voix basse, ou même à demi-voix ; comme il n’y a ni bancs ni chaises, ils essaient de s’asseoir contre les piliers, s’affermissent tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre ; quelques-uns sommeillent. On entend partout un long bruissement, il se fait un va-et-vient comme dans une halle. On se perche sur la pointe des pieds, et on regarde passer les suisses du pape, qui ont la fraise, le costume bariolé et les pertuisanes du XVIe siècle, puis les appariteurs en pourpoint de velours noir, avec le petit manteau espagnol, la chaîne d’or et aussi la fraise du temps de Philippe II. Enfin la procession défile : chaque personnage représente un apôtre, et tient une baguette enguirlandée de jaune, et qui figure une branche de buis ; les uns sont noirs, les autres violets, les autres rouges, les derniers sont les évêques tout luisans dans leurs chapes damasquinées ; plusieurs sourient, regardent, ou causent. Au fond de l’église, derrière le grand baldaquin de bronze, on démêle les génuflexions, les postures, tous les restes des anciennes cérémonies symboliques, si peu appropriées au temps présent. Sur les flancs, dans les deux grandes estrades, les femmes en noir, leur voile noir sur la tête, leur Murray à la main, manient leur lorgnette. On se plaint que la cérémonie soit incomplète. Le pape a un érésipèle qu’on a ouvert ; il en sort beaucoup d’eau, il n’est pas certain qu’il puisse officier à Pâques ; on détaille toutes les circonstances médicales. Nul intérêt ou sympathie véritable ; pour ce public, c’est le primo uomo qui manque, et son absence fera tort à la représentation. Les gens causent, se saluent, se promènent comme dans un foyer d’opéra. Voilà ce qui reste des glorieuses pompes qui au temps de Boniface VIII attiraient les pèlerins par centaines de mille : une décoration qui n’est plus qu’une décoration, une cérémonie vide, un sujet d’étude pour les archéologues, de tableaux pour les artistes, de curiosité pour les gens du monde, un amas de rites où tous les siècles ont apporté leur part, semblable à cette ville elle-même, où la foi vive et l’émotion spontanée du cœur ne trouvent plus d’objet qui leur corresponde, mais où se rassemblent les peintres, les antiquaires et les touristes.

Au point de vue pittoresque, l’effet est tout autre. Ainsi remplie et mesurée par la foule, l’église devient colossale ; cette fourmilière de peuple qui remue et ondoie la rend vivante comme un tableau. Les grandes chutes de lumière qui tombent du dôme font çà et là, au milieu des marbres, des pluies de rayons et de blancheurs éblouissantes. Le grand baldaquin qui tord dans le lointain ses colonnes fauves parmi des nuages d’encens, l’harmonie vague des