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chants adoucis par la distance, la magnificence des décorations et des marbres, le peuple de statues qui s’agite indistinctement dans l’ombre ; l’assemblage et l’accord de tant de formes monumentales et de tant de rondeurs grandioses, tout concourt à faire de cette fête un chant de triomphe et de réjouissance ; je voudrais y entendre la prière de Moïse, de Rossini, par trois cents chanteurs et un orchestre.

Mercredi, Miserere à la Sixtine.

Trois heures debout, et tous les hommes sont debout. Les deux premières heures se passent, quelques-uns n’y tiennent plus et s’en vont. Tous les corps sont serrés comme dans un étau. Les visages jaunissent, rougissent, se griment ; on pense aux damnés de Michel-Ange. Les pieds rentrent dans les mollets, les cuisses dans les hanches, les reins sont courbaturés ; heureux qui trouve une colonne ! Plusieurs tâchent d’atteindre leur mouchoir pour s’essuyer le front, d’autres essaient inutilement de préserver leur chapeau. On n’aperçoit rien qu’une forêt de têtes. La foule pousse à la porte, et de temps en temps un personnage officiel s’enfonce et pénètre péniblement, grâce aux épaules des acolytes, comme une fiche de fer dans une pièce de bois. Sous les tribunes de l’entrée, dans une sorte de cage, les dames s’assoient sur leurs talons et respirent du vinaigre. Çà et là, des suisses en panache blanc et en costume d’opéra profitent de leurs larges pieds et s’étaient sur leur hallebarde. Le ronflement monotone des psaumes dure et reprend toujours.

Cela n’empêche pas les figures de Michel-Ange d’être des géans et des héros. Ah ! si je pouvais me coucher sur le dos pour regarder les prophètes ! Quels vaillans troncs, quels magnifiques corps primitifs que ceux d’Adam et d’Eve ! Et ce terrible Christ du jugement, quel Apollon vengeur, quel sublime Jupiter foudroyant ! De quel geste de combattant vainqueur il accable les corps de ses ennemis précipités ! Tout vient de l’antique ici ; quand Bramante conçut Saint-Pierre, il prit ses deux idées dans le Panthéon et la basilique de Constantin ; les deux âges se renouent.

Enfin le Kyrie, puis le Miserere. Cela vaut toutes les douleurs de genoux et de reins qu’on a subies. L’étrangeté est extrême ; il y a des accords prolonges qui semblent faux et tendent l’ouïe par une sensation pareille à celle que laisse dans la bouche un fruit acide. Point de chant net et de mélodie rhythmée ; ce sont des mélanges et des croisemens, de longues tenues, des voix vagues et plaintives qui ressemblent aux douceurs d’une harpe éolienne, aux lamentations aiguës du vent dans les arbres, aux innombrables bruits douloureux et charmans de la nature. Rien de plus original et de plus