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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/364

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un admirable champ d’opération. On ne parlait de rien moins que de fournir bientôt du coton à tout l’univers. Il faut rendre cette justice aux spéculateurs anglais, qu’ils abordèrent cette colossale expérience avec un élan, un entrain extraordinaires. De grandes compagnies furent créées, des exploitations immenses entreprises, des chemins de fer concédés et commencés pour évacuer les énormes quantités de coton qu’on ne pouvait manquer de produire, des canaux d’irrigation tracés et creusés, l’argent répandu à profusion. Il s’agissait de bouleverser la situation agricole des Indes ; une occasion inespérée se présentait, il fallait la saisir aux cheveux. On ne procédait pas par demi-mesures. Qu’est-il résulté de ce déploiement d’activité ? Une démonstration nouvelle de deux vérités qu’on savait déjà : on a pu apprécier qu’en toute chose il est dangereux de vouloir aller trop vite, et on a pu s’apercevoir une fois de plus que l’organisation de la propriété foncière aux Indes, élément dont les capitalistes de Londres n’avaient pas songé à se préoccuper, s’opposait à la réussite d’aussi vastes combinaisons.

D’abord on voulut aller trop vite. On donna tête baissée dans des innovations qui n’avaient reçu la consécration ni du temps ni de l’expérience. Les exploitations étaient confiées, comme il arrive souvent dans les grandes compagnies, à une armée de directeurs, d’inspecteurs, de surveillans, d’employés, de commis de tout titre et de tout grade, gens bien intentionnés, ardens, sûrs d’eux-mêmes, mais nullement cultivateurs de coton. La première faute commise fut le choix de la semence. De tout temps, on a cultivé dans l’Inde l’espèce de coton connue sous le nom de gossypium herbaceum. Le duvet en est court et chargé, il ne convient qu’aux tissus grossiers. On voulut d’abord acclimater les espèces des États-Unis de qualité ordinaire, celles qui donnent les tissus courans. C’est pour tisser cette fibre que la plupart des métiers d’Europe étaient installés ; ils n’auraient pu en tisser une autre à moins de modifications coûteuses. D’ailleurs on avait l’air de redouter de produire des fibres trop longues et trop belles : les tissus communs s’adressent à une clientèle qui se compte par millions, les tissus fins et riches n’ont qu’un débouché restreint. Commercialement l’idée était donc irréprochable ; au point de vue agricole, on n’avait oublié qu’une chose, c’est que le sol et le climat des Indes ne ressemblent en rien au sol et au climat des États-Unis. Le sea-island cultivé en Amérique, à l’est des états à esclaves, sur des atterrissemens de la mer, doit sa force, sa longueur, sa souplesse à l’humidité qui lui est apportée par les vents du large et aux chaudes brises qui ont passé sur le gulf-stream. La fertilité du sol riche en détritus et en élémens salins sur lequel il pousse contribue sans doute à développer les