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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/321

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laissait de souveraineté. Leur imposer après coup de nouveaux abandons, c’est les délier de leurs engagemens, et ils ont quelque sujet de soutenir que les changemens constitutionnels prévus par l’article 78 de la constitution ne sauraient s’entendre de mesures emportant extension de compétence, que cette extension a été d’avance écartée et prohibée par le pacte fédéral, attendu que le pouvoir législatif se trouve partagé à titre égal entre le Bundesrath et le Reichstag, et que, d’après la teneur de l’article 23, le Reichstag n’a le droit de proposer des lois que dans les limites de la compétence du Bund. En tant que loi commune, disent-ils, la constitution peut être modifiée ; en tant que contrat, elle ne saurait l’être que moyennant le consentement de toutes les parties contractantes. Déjà la Saxe a éprouvé le besoin de sauvegarder son droit contre les menées qu’elle pressent, contre les prétentions des nationaux, qui semblent avoir juré qu’ils rapporteraient de leur prochaine campagne parlementaire quelques-uns de ces trophées dont la Prusse s’applaudit, et que la liberté déplore. Le roi Jean a déclaré, en ouvrant ses chambres, qu’il serait attentif à préserver son peuple de nouveaux empiétemens, et son peuple lui a répondu par une voix autorisée qu’il entendait remplir ses engagemens envers ses confédérés, qu’il entendait aussi rester maître chez lui et ne point livrer les clés de sa maison. Devenir un grand Waldeck ! L’ombre de Frédéric le Sage doit se remuer dans son tombeau. La fantaisie des gros bataillons décidera-t-elle encore ? Sera-t-il dit que la foi des traités n’est que chimère, qu’il n’est point de recours contre l’empire de la force, qu’elle domine souverainement sur les rois et les peuples, et que le bon droit des petits sera l’éternel jouet des insolences de l’épée ? Espérons et croyons qu’en Prusse le gouvernement sera plus sage et plus scrupuleux que le « parti. » Dieu préserve l’Europe d’apprendre un matin à son réveil que, tandis que la question du Mein continue de dormir, il vient de naître une question de Saxe !

Quelque sort qui l’attende, Dresde, la Florence de l’Allemagne, est triste, et, comme pour ajouter à ses mélancolies, son admirable théâtre a brûlé, ce chef-d’œuvre de Semper. Dresde est chagrine, elle est songeuse ; elle se rappelle ce qui fut, elle cherche à deviner ce qui sera. En parcourant ses rues, nous pensions à cette jeûne et charmante femme qui, secrètement atteinte d’une affection de poitrine, inquiétait son médecin par ses langueurs, affligeait ses amis par ses longues et muettes rêveries. A quoi rêvez-vous ? lui demandait-on. Elle répondait : Je me regrette.


VICTOR CHERBULIEZ.