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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/275

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voyais dans la monarchie administrative qu’un état de transition. Il y avait dans tout cela sans doute beaucoup de jeunesse, un peu de rêverie, mais rien qui fût radicalement faux, rien qui ne pût être rectifié par le temps et la réflexion, rien surtout qui ne fût compatible avec une conduite loyale et régulière. J’avais employé les loisirs où me laissait l’agonie du régime impérial à traiter par écrit diverses questions politiques. Je ne pris néanmoins aucune part aux discussions qui signalèrent la première session du parlement français. Il ne tiendrait qu’à moi d’en faire honneur à ma modestie et de dire que, n’ayant que vingt-neuf ans et pas encore voix délibérative à la chambre des pairs, c’eût été présomption de ma part d’y prendre la parole uniquement pour être entendu ; mais j’aime mieux convenir de bonne foi que la timidité fut pour beaucoup dans mon silence, et comme il arrive presque toujours, l’amour-propre pour beaucoup dans ma timidité.

« J’avais d’ailleurs autre chose à penser et meilleure excuse. C’était le moment où se préparait le grand événement de ma vie, celui qui a décidé de ma destinée pour ce monde et, je l’espère, pour un monde meilleur. »

Je ne puis dire combien je suis ému de cette phrase, expression si simple et si profonde de la foi et de l’espérance chrétienne. C’était le mariage du duc de Broglie avec Mlle de Staël qui se préparait alors, et, tout jeune qu’il était, il avait l’esprit assez élevé et le cœur assez pur pour regarder le mariage comme un lien de divine origine qui unit deux créatures humaines pour la vie présente, et aussi pour la vie inconnue que leur réserve l’avenir. Quand après avoir assidûment fréquenté la maison et la famille de Mlle de Staël, revenue à Paris après l’exil de dix ans que lui avait imposé l’empereur Napoléon, le duc de Broglie se crut en droit de « concevoir, selon sa propre expression, de plus hautes espérances, » il partit pour le château des Ormes et demanda l’assentiment de sa mère. « J’en avais besoin, dit-il, pour faire tête à l’orage que ma résolution excitait au sein de ma famille. Tels étaient à Paris en 1815 le courant de l’opinion dominante et la folie des préjugés nobiliaires fraîchement exhumés, qu’on y regardait mon mariage avec la fille d’un grand seigneur suédois comme une mésalliance ; on rappelait l’opposition entre le maréchal de Broglie et M. Necker. La rumeur était extrême et croissait d’heure en heure. Je tins bon. Le mariage fut convenu et rendu public dès le lendemain de l’arrivée de ma mère, et il ne fut différé qu’en raison d’arrangemens de fortune qui dépendaient de la restitution des 2 millions généreusement prêtés à l’état, en 1789, par M. Necker. »

Dans les premiers jours de 1816, et après quelques semaines passées à Coppet et à Genève, Mme de Staël avec sa fille et son fils,