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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/402

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ce jour les avait toujours conduits à la victoire lorsqu’il s’agissait de combattre des taï-pings, s’ouvrit résolument le ventre après la défaite ; quant à ses troupes, elles s’étaient fait tuer froidement avec le mépris ordinaire des Asiatiques pour la mort. On entra sans coup férir dans Pékin. Les Anglais, toujours pratiques, exigèrent un traité qui les autorisait à introduire en Chine autant d’opium que les pavots des Indes anglaises pourraient en produire ; les Français, chargés du butin qu’ils firent dans le palais d’été de l’empereur céleste, rentrèrent ravis en France : ils avaient obtenu pour nos missionnaires un large droit de circulation, ou, ce qui est synonyme, d’ingérence religieuse, de plus des concessions de terrains à Canton et à Shang-haï. Dans la première de ces deux villes, les propriétés foncières qui nous furent cédées sont désertes, par manque de sécurité peut-être ou en raison d’une tolérance qui y fut permise à la grande joie de nos marins, et qu’il est inutile d’expliquer. A Shang-haï, les révérends pères se trouvent à peu près seuls possesseurs de la concession, et ceux de nos nationaux qui voudront s’y établir sauront à leurs dépens ce que coûte l’honneur d’avoir des apôtres modernes pour propriétaires.

Je ne parlerai plus des missionnaires, car je vais partir pour le Japon, où leur entrée est encore interdite. D’ailleurs les Japonais ne sont point d’aussi facile composition que les naturels de l’empire du milieu ; les jésuites le savent et ne s’y aventurent point. Qu’il me soit cependant permis, avant de quitter la Chine, de dire un mot des nouveaux massacres qui viennent d’ensanglanter Tien-tsin, meurtres lâches, aveugles, où la populace a égorgé non-seulement notre courageux représentant, M. Fontanier, mais encore des prêtres et d’inoffensives sœurs de charité, pauvres femmes entraînées jusque dans ces lointaines contrées par des invitations imprudentes, et dont la mort, suivie de profanations horribles, doit quelque peu troubler la quiétude de ceux qui les y ont appelées. Que leur reprochait donc la foule ? D’après un journal catholique, une chose odieuse et invraisemblable : de voler les petits enfans. La vérité est que les missionnaires, dans leur zèle de catholicisme, achètent avec les deniers de la Sainte-Enfance, deniers devenus gros millions, un grand nombre de petites créatures. Les achètent-ils directement des familles, ou faut-il croire que des entremetteurs cupides, ravisseurs d’enfans, les leur livrent contre espèces comme leur appartenant ? Ce dernier cas n’est que trop probable, car autrement les colères de la populace de Tien-tsin ne s’expliqueraient pas ; quelque stupide que soit une foule surexcitée, elle ne tue pas sans motif. Quoi qu’il en soit, notre ministre à Pékin a déjà exigé les têtes de plusieurs mandarins ; il faut en effet que le sang