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Quelle différence avec les industries que l’état gouverne d’une main inhabile ! Combien nous sommes loin des sinécures à prix fixe des administrations publiques ! La bureaucratie impotente qui domine tout de loin, qui régente tout sans rien faire elle-même, ne s’inquiète pas plus du prix de revient que du travail à la tâche ; elle n’a souci que de l’uniformité qui lui allège la besogne et assure sa prépondérance. Or, M. Ernest Renan l’a dit avec un parfait bon sens, « une règle uniforme ne saurait produire d’individualités distinguées. » Pour préciser sur un cas particulier, comparons ce que l’initiative privée eût fait des postes et des télégraphes avec ce que ces industries deviennent en la possession de l’état, qui les exploite suivant sa routine habituelle. Des entreprises privées étudieraient les désirs, même les fantaisies du public, et s’attacheraient à les satisfaire. Par des jeux de tarifs adroitement différenciés, elles feraient naître le trafic postal ou télégraphique là où il n’existe pas encore. Tantôt unissant, tantôt séparant deux modes de correspondance qui se complètent, mais qui n’ont pas besoin l’un de l’autre, des négocians les feraient valoir l’un par l’autre au profit de leur clientèle aussi bien qu’à leur propre bénéfice. Ils auraient un petit nombre d’employés, surchargés de travail, mais rémunérés en proportion de leur adresse manuelle, et tenus en haleine par la crainte des tribunaux, qui condamnent à l’amende, parfois à la prison, quiconque a par négligence causé dommage à autrui. Au lieu de cela, nous avons des tarifs absolus et immuables qui favorisent certains consommateurs aux dépens de certains autres ; nous avons des employés mécontens de leur sort, indifférens aux plaintes du public, car ils n’en attendent pas un surcroît de salaire, et sont à l’abri de ses poursuites. Bien plus, la seule préoccupation du parlement, quand il a le temps de s’occuper des télégraphes et des postes, est de savoir s’il convient de réunir ces deux services en une seule administration ou de les tenir séparés, comme si, après que la liberté du commerce a été pratiquée pendant quatre-vingts ans, il était encore de l’essence des représentans de la nation de prétendre qu’un épicier vendra en même temps de l’huile et de la bougie, ou bien chacune de ces denrées séparément.

On ne s’est tant étendu sur les réformes qu’appelle l’organisation des services publics que parce que ces réformes sont le principe, qu’on veuille bien le croire, de celles que réclame le sort des fonctionnaires et employés de l’état. Leur rendre l’individualité et l’activité personnelle, tel est le grand point. Les sinécures disparaîtront alors d’elles-mêmes, aussi bien que les abus du cumul, contre lesquels il ne sera plus nécessaire de se mettre en garde. Probablement il n’y aura plus guère besoin non plus d’épreuves d’admission, car chaque homme se fera la place qui revient à son