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devra se porter l’attention du législateur pour les adoucir, au lieu de faire ce qu’on appelle vulgairement une cote mal taillée ? En tout cas, quelque moyen qu’on prenne pour soulager le pauvre, ce serait une idée peu judicieuse et peu juste que de corriger une inégalité involontaire par des procédés durs et arbitraires à l’égard du riche : moyen peu sûr d’ailleurs, la solidarité qui unit de nos jours toutes les classes ne permettant guère l’emploi de tels procédés à l’égard des classes aisées sans que le contre-coup s’en fasse sentir quelquefois plus péniblement encore sur la partie de la société qu’on a voulu ménager, venger peut-être. Le système qui fait de l’impôt le juge des fortunes, du trop et du trop peu, pour niveler, équilibrer, tailler les parts, distribuer les charges en dehors du principe de proportionnalité, mène droit à l’arbitraire et à la ruine. Partant de là, Robespierre avait proposé d’exempter de tout impôt des classes entières de citoyens peu aisés. Il reconnut qu’il s’était trompé, que l’impôt était la dette de tous, en dehors de l’indigence constatée, et comme le titre civique, qui constituait aussi bien un honneur qu’une charge. On peut, pour un impôt spécial, adopter l’exemption de la taxe au-dessous de tel revenu ou de tel taux de loyer, comme les Anglais le font pour l’income-tax, et comme nous le faisons pour l’impôt locatif. Il n’y a rien de commun entre cette manière d’agir et le système de la démocratie égalitaire qui surimpose le riche et qui exempte le pauvre. L’Angleterre fait payer beaucoup aux riches, mais non en vertu d’une théorie d’égalisation qui partirait du principe philosophique des inconvéniens et des infériorités diverses dont le pauvre peut avoir à souffrir, — argument qui mène loin dans sa téméraire généralité. Un impôt pèse-t-il sur les masses, comme les lois sur les céréales, elle le modifie ou le supprime. Dépasse-t-elle un peu la proportion exacte lorsqu’elle s’adresse aux riches, ce n’est pas en vertu d’une maxime ; elle a recours aux sources les plus abondantes : voilà tout. On ne voit pas que la masse se trouve mal de ce système. Et je ne parle pas de la taxe des pauvres, qui n’est que le sacrifice librement consenti par la charité et par la politique. Le grand moyen de soulagement pour la masse chez nos voisins est la facilité donnée au travail et à la consommation. On ne les voit pas imposer les matières premières, surtaxer sans mesure les produits fabriqués. Leurs réformes radicales sont des dégrèvemens. Les effets auxquels nous faisons allusion, et que nous caractérisons par l’abondance du travail, le développement des salaires, la facilité plus grande de la vie, n’ont pas cessé de recommander la réforme douanière à laquelle Robert Peel attacha son nom. Les réformes de ce genre profitent à tous, même au trésor ; le pauvre s’en réjouit sans que le riche ait à en souffrir,