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les perruques ; la république de Venise les a taxées, et Charles XII aux mauvais jours les a soumises à un impôt, de même que les vêtemens de soie et les épées dorées. On remarque jusqu’à un impôt sur la danse, aboli par Frédéric II en 1743 avec d’autres taxes bizarres. Il a été question en Hollande de taxer comme objet de luxe les fleurs artificielles. On a imposé les chapeaux de femme dans le même pays, et n’a-t-on pas imposé les chapeaux d’homme en France sous Louis XIV, ce qui réussit fort mal à notre fabrication ? On cite à Brème un impôt sur les rossignols. Il semble que rien n’ait été oublié depuis cette Rome impériale qui, non moins inventive, mettait des impôts sur les égouts, sur les latrines et même sur la profession des courtisanes.

Quelques écrivains ne se contentent pas d’une pareille liste ; ils prétendent encore l’allonger pour la plus grande gloire de la France. J’ouvre le livre d’un auteur, à vrai dire, plus philanthrope qu’économiste, et dont les opinions royalistes éloignent toute idée de connivence avec la démocratie niveleuse, l’ouvrage que M. de Montyon a écrit sous ce titre : Influence des diverses espèces d’impôts sur la moralité, l’activité et l’industrie des peuples. L’auteur sa montre prodigue d’impôts sur le luxe, et il faudrait rééditer pour lui le vieux mot de taxes somptuaires. A l’exemple de l’ancienne Rome, il rétablit l’impôt sur les célibataires ; il taxe les professions malsaines qui se rattachent au luxe, comme le broiement des couleurs, certains emplois du plomb. En voulant élever la finance jusqu’au rôle providentiel, il la charge de moraliser et de punir. Il exagère les taxes non-seulement sur les liqueurs, mais sur le thé, le cacao, le café. Il impose, comme nos anciens rois, les vêtemens enrichis par les broderies ou par l’application des métaux précieux, l’usage des diamans, des dentelles et autres parures ; il taxe les ornemens de la sculpture et de l’architecture dans les demeures des particuliers, la somptuosité de l’ameublement, la vaisselle d’or ou d’argent, bien entendu la domesticité, et jusqu’aux livres frivoles, qu’il appelle « un luxe littéraire, » aux plaisirs du théâtre, etc. Le jour où elle voudra multiplier les taxes sur le luxe, la démocratie n’aura qu’à ouvrir ce livre, elle peut y puiser à pleines mains.

Je ne sais si elle passera un jour de la tentation au fait, et si ces taxes ne seront pas invoquées avec excès, dans l’impuissance de réaliser les projets beaucoup plus radicaux que le socialisme médite. La vérité est qu’il ne faut ni abuser des impôts de luxe, même dans l’intérêt des masses populaires, ni non plus prétendre ériger en principe la proscription de toute taxe de ce genre. Il serait faux en théorie, dangereux en pratique, de procéder, dans le problème de la répartition des charges, selon la méthode qui établit les taxes