Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tantôt sur le degré d’importance ou de moralité attribué aux besoins humains, tantôt sur la capacité plus ou moins arbitrairement appréciée des classes de contribuables à pouvoir en supporter le poids. La part faite à ces motifs sera toujours restreinte devant le principe supérieur qui consiste à proportionner l’impôt aux facultés en prenant pour base le revenu, mesuré soit directement, soit par ses manifestations. Il est incontestable que le luxe est une de ces manifestations, non toujours, mais souvent faciles à constater et saisissables à l’impôt. Le législateur qui voudrait atteindre tous les degrés du luxe se perdrait dans une nomenclature infinie et irait échouer devant des nuances qui rendraient son œuvre impossible, tant l’agréable et l’utile, le nécessaire et le superflu s’enchevêtrent, pour ainsi dire, et dans la nature des objets auxquels s’applique l’industrie perfectionnée de notre époque et dans les jouissances que ces objets procurent. Il n’y a que les consommations où cette idée de superfluité ou de jouissance exceptionnelle apparaît en caractères en quelque sorte grossièrement visibles — qui soient susceptibles de ce genre de taxation ; encore faut-il bien s’assurer que la taxe ne présente pas plus d’inconvéniens que d’avantages. Cette tâche est délicate, elle n’est nullement impraticable. Qu’elle s’y montre ou non disposée, la société ne peut échapper à la nécessité de faire une part à ces impôts qui ne sont ni plus ni moins désagréables que d’autres, et dont la nouveauté déplaît, quand la fatalité ne permet pas d’y échapper. Contentons-nous d’arrêter cette démocratie qui voudrait faire des impôts sur les consommations de luxe une sorte de pompe aspirante des fortunes et une ruse de guerre contre le capital. Pendant des siècles, l’impôt a écrasé les classes pauvres ; il ne serait pas plus équitable d’en écraser les classes riches. Les privilèges en haut ont causé au monde de vives souffrances ; les privilèges consacrés à satisfaire les passions d’en bas et au prétendu profit des moins favorisés ne produiraient que des ruines.


HENRI BAUDRILLART, de l’institut.