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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/579

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jouissance de leurs communaux, sur l’entretien de leurs chemins ; les corporations industrielles avaient aussi leurs assemblées, où elles s’occupaient de leurs intérêts et de leurs devoirs professionnels. Chaque classe d’hommes et chaque groupe s’administrait et faisait ses affaires ; c’était un principe admis sans contestation que toute question qui touchait à l’intérêt de plusieurs fût discutée par tous les intéressés. De là cette série d’assemblées, non pas assemblées nationales (celles-ci ne pouvaient pas exister régulièrement à une époque où les intérêts nationaux n’occupaient pas les esprits), mais assemblées provinciales, assemblées municipales, assemblées de gentilshommes, qui étaient répandues par milliers sur toute la surface du pays. Nous avons fait l’énumération des différens tribunaux, plaids, cours, qu’il y avait alors ; il faut songer que chacun de ces tribunaux, chacune de ces cours était en même temps une assemblée délibérante, une sorte de conseil d’administration. Les mêmes hommes qui s’y réunissaient pour juger y discutaient aussi tous leurs intérêts communs ; à la suite d’une décision sur un procès venait une décision sur une taxe à percevoir, sur une route à tracer, sur une coutume à modifier. On ne distinguait pas alors aussi nettement qu’on le fait aujourd’hui ce qui est justice de ce qui est administration ou gouvernement ; comme les hommes se jugeaient eux-mêmes, ils s’administraient aussi eux-mêmes. Le self-government, que les Anglais ont conservé avec leurs libres jurys, est un reste de vieilles habitudes qui avaient été en vigueur sur le continent aussi bien qu’en Angleterre. Lorsque les jurys disparurent en France, les mille petites assemblées administratives, qui n’étaient autres que ces jurys, disparurent naturellement. En perdant l’habitude et le droit de se juger, la population perdit l’habitude et le droit de s’administrer. Quand les cours féodales eurent désappris à se réunir régulièrement pour vider les procès, il se trouva qu’elles avaient désappris aussi à délibérer sur les intérêts généraux de la classe noble. Les assemblées de bourgeois perdirent aussi la plus grande partie de leurs attributions premières, et finirent par n’être plus qu’une vaine image et une inutile formalité. Les assemblées des paysans de chaque village disparurent en même temps que leurs plaids ; on ne les vit plus se réunir que de loin en loin, quand les rois pensèrent à les convoquer pour nommer des députés et rédiger des cahiers de doléances. Partout la pratique de l’administration se perdit en même temps que celle de la justice. Dès que les hommes furent jugés par des magistrats, ils s’accoutumèrent insensiblement à laisser régler leurs affaires par l’autorité supérieure, et à lui confier la gestion de tous leurs intérêts collectifs. Ils renoncèrent ainsi à toute cette vie publique qui, au prix de