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que nous commettons. M. Darwin répond que, tous les hommes souhaitant le bonheur, ils blâmeront ce qui les en éloigne et loueront les actions qui tendent à les y conduire ; le « principe du plus grand bonheur » pourrait ainsi indirectement servir de point de départ pour distinguer le bien et le mal. À mesure que la raison se développe et que l’expérience s’étend, les relations de cause à effet sont aperçues de plus loin, l’opinion publique comprend et exige des vertus plus raffinées. Les notions morales se perfectionnent ainsi de génération en génération ; mais que sont-elles encore chez les sauvages !

Si l’on accepte la doctrine du transformisme, qui fait descendre l’espèce humaine de quelque être inférieur, on se demandera peut-être comment cette doctrine peut se concilier avec la croyance à l’immortalité de l’âme. Les races sauvages n’ont aucune idée claire d’une vie future, mais ce serait à tort qu’on attacherait de l’importance à leurs croyances instinctives ; elles ne prouvent rien ni pour ni contre l’existence de l’âme après la mort. Rien ne nous empêche d’y croire ; la seule difficulté, c’est de savoir à quelle époque de l’évolution de l’espèce on doit commencer à considérer celle-ci comme destinée à une vie immortelle. Toutefois peu de personnes s’inquiètent de l’impossibilité de déterminer le moment précis dans le développement de l’individu, depuis les limbes de la vie embryonnaire jusqu’à la naissance, où il devient un être immortel. On ne doit pas se tourmenter davantage parce qu’il n’est point possible d’indiquer la phase d’évolution de notre espèce où l’animal ne retourne plus tout entier au néant après sa mort. « Je ne puis me dissimuler, dit à ce propos M. Darwin, que les conclusions de mon livre seront dénoncées par certaines gens comme profondément irréligieuses. Que celui qui les dénoncera ainsi prouve donc qu’il est plus irréligieux d’expliquer l’origine de l’espèce humaine en la faisant descendre par variation progressive de quelque forme inférieure que d’expliquer la naissance de l’individu par les lois de la reproduction ordinaire. La naissance de l’individu et celle de l’espèce sont au même titre des anneaux de cette chaîne d’événemens que l’esprit se refuse à considérer comme le résultat d’un aveugle hasard. La raison se révolte contre une telle conclusion, qu’il nous soit possible ou non de croire que la moindre variation de structure, l’union de chaque couple d’êtres animés, la production de chaque germe, aient été ordonnées en vue d’un but spécial. »

La filiation de l’homme n’est point le seul problème qui occupe M. Darwin dans son nouvel ouvrage. Il y approfondit encore un sujet qu’il avait à peine effleuré dans ses précédentes publications : nous voulons parler de la sélection sexuelle. Il s’agit ici du succès que les individus les mieux doués remportent sur les autres du même sexe, relativement à la propagation de l’espèce, tandis que la sélection naturelle dépend du succès des deux sexes à la fois et à tout âge dans la lutte