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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/691

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contre les conditions générales de l’existence. La lutte sexuelle a lieu sous deux formes distinctes : tantôt les mâles se livrent un combat dans lequel le plus fort chasse ou détruit ses rivaux pendant que les femelles se tiennent passives, tantôt ils se bornent à rivaliser de séductions, et les femelles font leur choix en conséquence. Cette dernière forme de la sélection sexuelle est tout à fait analogue à la sélection inconsciente pratiquée par les éleveurs, qui traditionnellement choisissent les individus les plus beaux ou les plus utiles sans intention arrêtée d’améliorer la race.

Dans les divisions inférieures du règne animal, la sélection sexuelle ne joue pas un rôle appréciable. Les mollusques, dont la vie se passe souvent au point où ils sont nés, les animaux hermaphrodites, qui réunissent les deux sexes dans le même individu, ne peuvent pas entrer ici en ligne de compte. Chez ces êtres inférieurs, les facultés mentales sont d’ailleurs trop peu développées pour qu’ils puissent ressentir les émotions de l’amour et de la jalousie, ou exercer un choix quelconque. Lorsqu’on arrive aux insectes, puis aux vertébrés, les effets du triage sexuel deviennent de plus en plus manifestes ; en même temps, et comme parallèlement, nous voyons éclore et briller l’intelligence. Ce phénomène est surtout remarquable dans deux grands rameaux de l’arbre de la vie : chez les hyménoptères (abeilles, fourmis) et chez les mammifères, dont l’homme fait partie. Le contraste entre les deux sexes est d’ailleurs à peu près partout de la même nature, chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons, les insectes, et jusque chez les crustacés. Dans quelques cas, les rôles sont renversés, mais c’est l’exception[1]. C’est généralement le mâle qui recherche la femelle ; il est seul armé pour le combat. Le mâle est presque toujours plus gros et plus fort, plus courageux et d’humeur plus belliqueuse que la femelle ; il s’en distingue encore par une foule d’autres caractères secondaires, tels que des organes de chant ou de stridulation, des glandes odorifères, etc. Enfin la nature a orné les mâles d’une infinité de colifichets : crêtes, panaches, aigrettes, huppes, pennes rémiges et rectrices, barbes, crinières, capuchons, ramures, ailerons ; — elle leur a donné des robes aux couleurs voyantes, dorées, pailletées, tandis que les femelles sont vêtues simplement. Chez le mandrill mâle, certaine partie du corps est colorée du rouge le plus vif avec un agréable mélange de bleu. Chaque espèce se prévaut aussi de ses avantages extérieurs à l’époque où les sexes se rapprochent. Les oiseaux chanteurs s’égosillent, les cigales et les grillons jouent avec frénésie de leur instrument à cordes, les coqs de bruyère exécutent des danses sous les yeux de leurs belles, les paons et les oiseaux de paradis s’évertuent à faire resplendir leur plumage au soleil.

  1. Les femelles du casoar, de turnix taigoor, de rhynchaea australis, surpassent les mâles en force et beauté, et ce sont les mâles qui couvent.