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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/799

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elles le désordre et la ruine. Signaler ces erreurs condamnées par l’expérience, c’est en empêcher le retour, c’est épargner à nos enfans les fléaux que l’ignorance du législateur a déchaînés sur nous.

Au premier rang de ces théories funestes, il faut placer celle du pouvoir constituant telle qu’on l’a conçue en 1789. Établir ou reformer une constitution a été regardé par nos pères comme une œuvre magique qu’on ne peut confier qu’à une assemblée unique, convoquée extraordinairement et maîtresse de refaire à son gré l’état et la société. Et non-seulement on concentre tous les pouvoirs dans les mêmes mains, ce qui est la définition même du despotisme, mais encore on donne aux constituans une autorité telle qu’ils peuvent imposer leur gouvernement à la nation sans lui demander son avis, et lui défendre d’y toucher avant l’époque et par d’autres moyens que ce qu’il leur plaît de décider dans leur vanité. En nommant une assemblée de révision, le peuple fait acte de souverain, mais du même coup il abdique au profit de ses représentans, sans se réserver seulement le droit de contrôler et d’accepter ce qu’on fait en son nom. Les constituans ne sont pas les mandataires, ils sont les maîtres du pays.

C’est ainsi que les choses se sont passées en 1789 ; on peut juger de l’arbre par ses fruits. Une assemblée souveraine, dont rien ne gênait la volonté, la passion ni le caprice, a détruit tout ce qu’elle a touché : monarchie, administration, finances, armée, marine, église ; elle a condamné un peuple trop confiant à traverser toutes les misères de l’anarchie en lui montrant à l’horizon une liberté qui fuyait toujours. C’est à ce prix que la France a été dotée d’une constitution qui n’était même pas viable. Promulguée avec éclat le 14 septembre 1791, l’œuvre de l’assemblée constituante disparaissait le 21 septembre 1792 devant ce jugement dédaigneux et mérité : « la convention déclare qu’il ne peut y avoir de constitution que celle qui est acceptée par le peuple. » Ni cet échec, ni cet arrêt significatif, n’ont empêché les législateurs de 1848 de reprendre avec une pieuse ignorance la tradition d’erreur qui datait de 1789 ; ils ont mené la France au même abîme et par le même chemin. La leçon nous a-t-elle profité ? Non, nous en sommes restés au même point ; nous n’avons pas perdu une seule de nos illusions. L’expérience n’instruit que ceux qui doutent et qui cherchent, elle n’existe pas pour un peuple que la foi révolutionnaire illumine, et qui se croit naïvement en possession de la vérité absolue.

Étudier la nature et le caractère du pouvoir constituant n’est donc pas une œuvre de pure curiosité ; c’est une question qui porte en ses flancs l’avenir de la France. Il est utile, il est nécessaire de montrer comment d’une vérité mal comprise le législateur de 1789