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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/800

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a tiré les conséquences les plus fausses et les plus désastreuses. Il faut voir comment, en partant du principe de la souveraineté nationale, il en est arrivé à confisquer cette souveraineté au profit d’une assemblée que la toute-puissance a enivrée et perdue.

Pour faire toucher du doigt l’erreur de nos pères, je dirai de quelle façon l’Angleterre et les États-Unis s’y prennent pour réformer leurs constitutions. Il y a là deux systèmes différens d’apparence, mais animés d’un même esprit. Si l’Angleterre ne peut nous servir d’exemple, il n’en est pas de même de l’Amérique ; elle nous offre d’excellens modèles, et il est inutile de raisonner à l’aventure quand on a sous la main la solution du problème.

Avant tout, posons la question.

Qu’est-ce que le pouvoir constituant ? C’est le pouvoir de faire ou de réformer une constitution. Qu’est-ce alors qu’une constitution ? En quoi une constitution diffère-t-elle d’une loi ordinaire, et pourquoi faut-il des formes particulières pour la changer ?

La constitution est la loi qui organise le gouvernement de l’état, en d’autres termes la loi qui règle la distribution et l’étendue des pouvoirs publics. Depuis Montesquieu, rien ne nous est plus familier que la théorie des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; nous savons que la division, qui du reste n’en est point absolue, est une des conditions de la liberté. Il est donc nécessaire de fixer légalement la compétence de chacun de ces pouvoirs, et de les borner les uns par les autres. L’objet propre d’une constitution, c’est ce partage d’attributions, c’est l’établissement de ces limites, c’est en outre l’énumération des libertés que le gouvernement doit garantir, et auxquelles il ne peut toucher. Toutes les autres dispositions que renferme une charte peuvent être bonnes ou mauvaises, mais elles n’ont rien de constitutionnel. Aussi le plus sage est-il de les réserver pour ce qu’on nomme les lois organiques, lois qui sont dans la main du législateur ordinaire, et qu’il est aisé de modifier suivant les idées et les besoins du jour.

Comprend-on maintenant pourquoi la constitution a un caractère particulier ? Les lois communes règlent les rapports du gouvernement avec les citoyens ou des citoyens entre eux, la constitution règle le gouvernement lui-même. Elle commande au juge, au législateur, au chef du pouvoir exécutif. C’est la loi fondamentale, la garantie prise par le peuple contre ceux qui font ses affaires, afin qu’ils n’abusent pas contre lui du mandat qu’il leur a confié. Entourer de précautions et de solennité l’établissement de cette grande charte est chose naturelle ; il est juste qu’on n’y puisse toucher qu’en un cas sérieux, et seulement sur l’ordre de la nation. A qui appartient ce pouvoir constituant ? Au souverain sans aucun doute,