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misérables ! Que lui en reviendra-t-il de les faire massacrer inutilement ?

Elle parut touchée et s’approcha de Magelonne ; j’entendis qu’elle lui parlait de mettre bas les armes. II. haussa les épaules avec impatience et lui tourna le dos ; Fidelis revint vers moi. — Quel temps radieux ! Venez, Hermann ; le spectacle en vaudra la peine.

Tout en parlant, elle releva sa longue robe de soie bleue et la rattacha dans sa ceinture, puis elle couvrit ses épaules nues d’une casaque d’étoffe sombre. Une de ses compagnes lui offrit un revolver. — Non, non, reprit-elle en détournant la tête ; je n’aime pas le sang ni la guerre… Ah ! qu’un bal me plairait davantage ! — Et, fredonnant une valse, elle fit en dansant le tour de la table ; puis s’arrêtant à l’autre bout de la salle : — Viens-tu ? me dit-elle avec un mouvement de tête qui m’électrisa. — Je m’élançai à son appel ; mais Fidelis se déroba. — Un peu moins d’emportement, s’il vous plaît, mein herr, l’heure des plaisirs est passée. — Voyez donc ! comme il est tendre à la tentation ! s’écria-t-elle en s’adressant à ses amies, qui riaient de ma déconvenue. — Et l’on prétend que les Allemands sont vertueux ! C’est bien la faute des Allemandes !

On se mit en marche : voici le départ ; adieu ! Je suis Fidelis comme l’ombre suit le soleil.

HERMANN A BALTHAZAR.

Sainte-Pélagie, 29 mai.

Pris parmi les insurgés et jeté en prison avec quelques-uns des plus marquans, le 26 au soir, je me suis fait réclamer par mes chefs et vais être mis en liberté dans quelques heures. Je veux employer mes derniers instans de captivité à te raconter la fin de ma tragique aventure. Tu as appris déjà par les journaux comment s’est écroulé dans le sang et la boue l’édifice monstrueux de la commune de Paris. Je vais te dire ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, ce que j’ai souffert dans cette grande catastrophe. Je n’essaierai pas de te décrire la bataille ; je n’ai vu que Fidelis, elle seule occupait ma pensée. L’image de la mort planant sur cette tête charmante a troublé ma lucidité habituelle.

Je m’étais réfugié avec elle dès le commencement de la journée dans un coin élevé du Père-Lachaise, d’où nous embrassions à peu près toute l’étendue du champ de bataille. D’abord les insurgés résistèrent avec assez de vigueur ; ils perdaient relativement peu de monde. Les troupes assaillantes ne se hasardaient qu’avec lenteur et précaution dans les rues étroites de ces quartiers hérissés de bini-cades. Leur action cependant devint bientôt plus pressante, et l’espace commença de se resserrer autour des fédérés. Ils durent abandonner successivement leurs positions avancées et se concentrer