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peu à peu autour du cimetière. Protégés par ces formidables hauteurs et par les batteries dont elles étaient couronnées, ils se flattaient de résister longtemps. On s’était animé à l’odeur de la poudre, à la vue du sang, au bruit des balles qui bourdonnaient dans l’air et de la mort qui frappait sans relâche ; toute trace d’abattement avait disparu. Le courage naturel au peuple de ce pays, son goût inné pour la guerre, faisaient taire les appréhensions. Les rangs cependant s’étaient éclaircis, la plupart des chefs avaient disparu, — morts peut-être ou prisonniers. Personne ne commandait, on se battait au hasard. Magelonne seul encourageait encore par sa présence les combattans. Debout près de nous, au point le plus élevé du cimetière, au milieu d’un état-major peu nombreux, il assistait d’un œil attentif à la défaite de ses derniers soldats. On dut bientôt abandonner les abords du cimetière et se retirer à l’intérieur ; mais le mur d’enceinte tenait encore. La résistance commençait à fléchir pourtant, la fatigue devenait visible. Il y avait des défections, quelques-uns jetaient leurs armes, et se couchaient sur les tombes pour y mourir en repos. Magelonne s’avança vers les combattans. — Courage ! s’écria-t-il d’une voix éclatante, une heure encore ! Tenez une heure, et nous sommes sauvés. Nos frères de La Villette ont repoussé l’ennemi, ils viennent à notre secours. Courage ! je vais vous amener des renforts !

Il y avait tant d’énergie dans son geste et sa voix, que pour la première fois je me pris à l’admirer ; je sentis naître en moi une sympathie pour cette constance et cet indomptable courage. Je me reprochais de l’avoir mal jugé. — Chaque homme dans la vie a son heure, et cet homme a trouvé la sienne, me disais-je en le regardant avec une sorte d’émotion s’éloigner d’un pas ferme et d’une allure hautaine pour chercher un secours impossible…

Fidelis aussi le suivait d’un regard attendri : — Pourvu qu’il revienne à temps, disait-elle en voyant tomber un à un les derniers combattans.

Le temps passait, le secours promis n’arrivait pas. Les malheureux insurgés, cernés, traqués, assaillis de toutes parts, allaient être débordés, les munitions s’épuisaient ; les gémissemens des blessés, les imprécations des mourans, s’élevaient en une lamentation immense et se mêlaient aux bruits farouches du combat.

Bientôt apparut un enfant tout haletant, couvert de sang et de poussière. — Un ordre du général, s’écria-t-il en agitant un large pli…

— Enfin ! dit Fidelis, saisissant le papier… Elle l’ouvrit, et devint toute pâle ; ses lèvres tremblantes pouvaient à peine parler. Le général est mort, dit-elle d’une voix sourde… C’est son dernier adieu, Elle froissa la lettre entre ses doigts sans verser une larme.