Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
284
REVUE DES DEUX MONDES.

portait une courte jaquette de velours à boutons de métal, un foulard de couleur noué négligemment autour du cou en guise de cravate, un pantalon collant gris-perle, des bottes à l’écuyère vernies et garnies d’éperons, et un chapeau mou.

— N’auriez-vous rien à boire ? me dit-il après un moment de silence, j’ai trois heures de cheval dans le gosier sans compter la poussière que j’ai avalée.

Il parlait le hollandais avec un certain accent. Il paraissait friser la cinquantaine, bien qu’il fût peut-être plus jeune. Ses traits mobiles, ses yeux d’un gris verdâtre toujours en mouvement, beaucoup de rides légères sur un front hâlé, la mate blancheur de ses joues, tout dénotait l’aventurier, et cette impression n’était pas diminuée par l’aspect de son visage ramassé, de son gros nez et d’une moustache touffue qui rabattait sur de grosses lèvres sensuelles.

Intrigué au suprême degré, je lui tendis un verre d’eau en lui disant : — Yous paraissez bien connaître cette maison ?

— Oui, et rien d’étonnant ; j’y ai fait plus d’une farce quand j’étais jeune ; mais vous, qui êtes-vous ? Un adjudant du colonel ? un protégé de Frances ?

— Il me semble que ce serait plutôt à moi de vous demander qui vous êtes.

— C’est vrai, et je vous le dirais avec plaisir ; mais c’est un secret que je partage avec d’autres. Nommez-moi master Smithson, c’est mon pseudonyme pour le quart d’heure.

— Très bien ; mais que voulez-vous, master Smithson ?

— Je vous prie d’avertir Frances que je suis ici.

— Cette nouvelle lui sera-t-elle agréable ?

— Diantre ! je ne puis pas vous l’affirmer, mais elle viendra tout de même.

— Ici, dans ma chambre ?

— Bah ! notre major Frans n’est pas bégueule.

— Master Smithson, je vous préviens que, si vous dites un seul mot inconvenant sur le compte de Mlle Mordaunt, je vous fais reprendre à l’instant le chemin par où vous êtes venu.

— Là, là, monsieur l’inconnu, je m’entends assez bien à la boxe ; mais soyez tranquille, je suis le dernier qui voudrait offenser Frances. Maintenant, puisque vous la connaissez, vous devez savoir, comme moi, qu’elle serait la dernière à refuser par pruderie de secourir quelqu’un dans l’embarras. Demandez-lui donc si elle consentirait à venir trouver ici non pas Smithson, car elle ne me connaît pas sous ce nom, mais quelqu’un de sa parenté qui se nomme Rudolf.