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LE MAJOR FRANS.

Frances, visiblement impatientée, l’interrompit et me dit :

— Monsieur Rudolf von Zwenken, fils de mon grand-père !

— Nous avons donc toujours un peu de peine à dire mon oncle, n’est-ce pas, charmante nièce ? C’est ma faute. Je n’ai jamais su inspirer le respect nécessaire. — Eh bien ! cousin de Zonshoven, vous voilà en pays de connaissance. Une petite rectification pourtant. Il n’y a plus de Rudolf von Zwenken, il est mort civilement.

— Et moralement, murmura Frances.

— Et s’il s’avisait de ressusciter sous ce nom, reprit-il sans se soucier de l’interruption, il commettrait quelque chose comme un suicide, car il ne tarderait pas à être pris et fusillé.

— Et sachant cela, après tout ce qu’on a fait pour vous mettre hors de péril, venir vous représenter ici ! s’écria Frances.

— Mais, my dear, qui vous dit que je viens me représenter ici ? C’est vrai, je donne des représentations dans la province, mais celui qui se présente au public est master Smithson, si bien grimé que le baron von Zwenken lui-même ne reconnaîtrait pas son fils.

— C’est fort heureux, car il en mourrait, repartit Frances d’un ton ferme.

— Oh ! là ! dearest, vous exagérez. Monsieur mon père n’a jamais été si sensible que cela avec moi. Il ne saura jamais qui est ce master Smithson. Son fils Rudolf voudi’ait en tout respect avoir un entretien avec lui, et il demande pour cela votre intervention, Frances.

— C’est inutile, monsieur, vous ne pouvez ni revoir votre père ni lui parler.

— Quelle inhumanité, Frances !

— Mes devoirs d’humanité m’obligent en premier lieu envers votre père.

— Mais, chère enfant, comprenez-moi donc. Je ne veux que lui baiser la main et implorer son pardon. Pour cela je me suis imposé mille fatigues, j’ai couru mille dangers, j’ai fait trois heures à cheval, je me suis caché dans la ruine, j’ai escaladé le mur du jardin au risque de me casser bras et jambes ; voyant de la lumière ici, j’y ai pénétré avec effraction, et j’aurais fait tout cela pour rien ! Non, my darling, cela ne se peut pas, vous serez bonne, vous me ménagerez l’occasion désirée…

— Non, vous dis-je, et vous savez que, quand j’ai pris une résolution, j’y tiens.

— Vous avez pourtant un cœur, Frances. Ah ! je vois ce qui vous arrête. Vous pensez que je reviens comme l’enfant prodigue, sans sou ni maille, retour de l’auge aux pourceaux. C’est juste le contraire. J’apporte plus de six cents florins en beaux et bons green-