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backs. C’est un commencement de restitution. Que dirait papa s’il les trouvait demain matin sur son oreiller ? Croyez-vous qu’il n’ouvrirait pas ses bras à son fils égaré ?

— Non, Rudolf, assurément non. Vous avez failli à l’honneur, et voilà ce que votre père ne vous pardonnera jamais. Ne parlez pas de restitution. Qu’est-ce que cette somme en comparaison de ce que vous lui avez coûté, de ce que vous nous avez fait souffrir à tous, des sacrifices enfin qui nous donnaient le droit d’espérer que nous avions du moins acheté le repos et l’oubli ?

Rudolf courba la tête et soupira sans rien répondre. Je ne pouvais m’empêcher d’avoir pitié de ce malheureux. J’aurais voulu dire quelque chose en sa faveur ; mais l’attitude froide, hautaine et même méprisante de Frances m’imposait. Il devait y avoir un motif à sa sévérité inexorable, un motif que je ne pouvais deviner. Je devais donc rester absolument passif.

Enfin Rudolf sortit de son abattement, avala un verre d’eau, et, se retournant vers Frances, lui dit d’un ton sérieux : — Écoutez, Frances, vous me faites l’effet de tenir mon père sous tutelle et de vous opposer, sans même consulter sa volonté, à une réconciliation entre lui et moi, et il me paraît étrange qu’une nièce, une simple petite-fille, se mêle de jouer ici le rôle du frère aîné qui ne veut pas entendre parler d’une bonne réception du fils égaré. Vous savez pourtant bien que je n’ai ni la volonté ni le pouvoir de vous contester la succession de mon père.

— Il ne me manque plus que d’être soupçonnée par vous de cupidité, répliqua Frances sur le ton de l’indignation.

— C’est aussi ce dont je songerais le moins à vous accuser ; au contraire je fléchis sous le poids de mes obligations envers vous. Je ne disais cela que pour vous ôter toute incertitude. Pour tout le monde, je suis Richard Smithson, citoyen américain ; mais ne me refusez pas d’être encore quelques instans ici Rudolf von Zwenken, qui voudrait voir son vieux père une dernière fois avant de lui dire adieu pour toujours.

— Vos adieux éternels ne signifient rien. On vous voit toujours reparaître.

— Ah çà mais, si je me passais de votre permission ? Qui m’empêche après tout d’aller trouver mon père dans la grande chambre dont je sais le chemin ?

— Faites ; mais je vous préviens d’une chose, c’est que dans l’antichambre vous rencontrerez Rolf, qui vous connaît d’ancienne date, qui n’obéit qu’à la consigne, mais qui lui obéit toujours.

— Que le diable emporte Rolf ! Et que fait ici ce vieux coquin ?

— Le vieux coquin fait de son mieux, fait plus qu’il ne devrait