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LE MAJOR FRANS.

Frances, assise sur le sofa, termina son récit avec des sanglots.

— C’est dommage, Frances, bien dommage, reprit Rudolf ; pourquoi ce malheur ne m’est-il pas arrivé, à moi, plutôt qu’à Blount ? Vous auriez eu un fardeau de moins à porter. Maintenant que le fait est accompli, il faut en prendre son parti. J’en ai vu bien d’autres tomber de cheval, qui ne se sont pas relevés. Qu’y faire ? Attendre le jour où notre tour viendra et n’y pas trop penser ;… mais enfin, dit-il tout en continuant son repas un moment interrompu, cela ne me dit pas où je passerai la nuit. Devrai-je retourner dans la ruine ? C’est une chambre bien froide, surtout quand on sait le castel paternel tout près de soi…

— C’est qu’il n’y a absolument aucune chambre à vous ofixir, Rudolf.

— Mais pourquoi M. Rudolf ne partagerait-il pas la mienne ? Je lui céderais volontiers mon lit.

— Non, dit-il avec vivacité, je me contenterai bien du sofa, si du moins Frances y consent.

— Soit, dit-elle, seulement vous me promettez que demain, dès l’aube, vous serez loin. C’est demain l’anniversaire de votre père, il y aura du monde au château…

— Je m’en irai de bonne heure, je vous le jure, Frances.

— Je veux bien encore une fois me fier à votre parole, et maintenant adieu, il est temps que je me retire.

— Prenez pourtant ce portefeuille, Frances, c’est un petit commencement de restitution ; je voudrais bien pouvoir vous offrir davantage, mais je ne suis pas encore un véritable oncle d’Amérique. Acceptez du moins ce que je peux vous rendre. — Et il lui montra les billets verts de l’Union renfermés dans le portefeuille.

— Sont-ils de bon aloi, Rudolf ? lui demanda-t-elle d’un ton grave.

— Pardieu ! Frances, que signifie votre question ? J’ai fait dans ma vie bien des sottises, j’ai été fou, gaspilleur, panier percé, je suis un déserteur, mais faire de faux billets !.. Ah ! Frances, comment pouvez-vous me soupçonner d’une pareille infamie ?

— Je voudrais bien n’avoir que des soupçons, Rudolf ; j’ai malheureusement des preuves…

— Des preuves ! s’écria-t-il douloureusement étonné, mais c’est impossible.

— Que dois-je penser de fausses lettres de change où vous avez imité la signature de votre père ? Nous les avons sous clé, ces terribles preuves, et elles m’ont coûté assez cher. Je vous ai pardonné cela avec tout le reste, Rudolf, seulement les faits sont des faits.

— C’est impossible, vous dis-je, reprit-il avec fermeté. Il doit y