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LE MAJOR FRANS.

me suffît pas encore ; accordez-moi la faveur d’être pour vous plus encore qu’un ami, permettez-moi…

— Plus qu’un ami ? s’écria-t-elle visiblement agitée, je vous en prie, Léopold, n’allons pas au-delà de ce que nous pouvons être l’un pour l’autre, ne gâtez pas cette relation qui m’est chère comme à vous en exigeant l’impossible, et promettez-moi sérieusement, Léopold, que vous ne me tiendrez plus un tel langage.

Cela ressemblait fort à un refus formel, et pourtant il y avait dans sa voix quelque chose d’ému qui me rassurait jusqu’à un certain point. — Et pourquoi donc serait-ce impossible, Frances ? repris-je en faisant appel à tout mon courage.

Cette fois je n’obtins pas de réponse, elle jeta un cri, s’élança vers la tonnelle, je la suivis en courant. Un spectacle effrayant nous y attendait.

Rudolf, le malheureux Rudolf, était à genoux devant son père et lui baisait la main. Celui-ci restait immobile sur le banc. Tout à coup Rudolf poussa un cri de terreur et de désespoir. — Je vous en avais averti, lui dit Frances, vous avez tué votre père !

— Non, Frances, non, il est évanoui, mais je l’ai trouvé dans cet état ; je vous jure par tout ce qui m’est cher que je l’ai trouvé ainsi.

Le fait est que le général était raide et immobile comme un cadavre. Le treillis de la tonnelle l’avait seul empêché de rouler à terre. Son visage était d’une pâleur bleuâtre, ses yeux fixes et grands ouverts, ses traits contractés. Frances lui frotta les tempes avec le contenu de son flacon. Cette friction le ranima quelque peu ; mais il fallait de prompts secours. — Dites-moi où demeure le chirurgien du village, j’y vole, s’écria Rudolf au comble de l’agitation.

— Il vaut mieux que ce soit Frits, décida Frances d’un ton résolu.

Je courus à la recherche du vieux serviteur, que je mis au fait en peu de mots. — Le général a une attaque ! s’écria-t-il avec des larmes dans la voix, et c’est ma faute !

— Comment cela ?

— Je n’aurais pas dû permettre,… mais je… je ne pouvais chasser pourtant le fils de la maison.

— Naturellement, mais à cette heure taisez-vous et hâtez-vous.

— Et le vieux soldat partit avec une vélocité de jeune homme. Quand je revins vers la tonnelle, le général était toujours dans le même état ; Rudolf, appuyé contre un arbre, se tordait les mains.

— Cela n’avance à rien, lui dit Frances, aidez-moi plutôt à le transporter dans sa chambre, Léopold nous aidera aussi.

— Pas besoin de lui, c’est mon père, et j’ai le droit. — En