Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
301
LE MAJOR FRANS.

— Non pas ! Je sais qu’il est ici, il faut qu’il parte, qu’il me laisse en paix, qu’il ne reparaisse plus devant mes yeux… ou bien… je le maudis.

Nous entendîmes un soupir étouffé dans le cabinet voisin. Rudolf avait compris.

Rolf et Frances devaient passer la nuit auprès du malade. Je conduisis dans ma chambre Rudolf, qui ne marchait plus qu’en chancelant. Il s’abattit sur le sofa en pleurant comme un enfant. — C’est fini, disait-il, je ne pouvais après tout espérer autre chose, et je l’ai bien mérité !

— Frances avait pourtant raison ; vous n’auriez pas dû manquer à votre parole.

— Il n’a pas dépendu de moi que je la tinsse. Frits m’a surpris ce matin au moment où j’escaladais le mur du jardin, et je dus me faire reconnaître pour qu’il ne me prît pas pour un voleur. Là-dessus il m’a offert de me cacher jusqu’à la nuit dans une chambre inoccupée du rez-de-chaussée. De là, sans être aperçu, je pouvais voir mon père se promener dans le jardin. Quand ses invités furent partis, je le vis se diriger vers la tonnelle, s’asseoir, et je crus qu’il s’endormait. Alors je voulus sortir de ma cachette et m’approcher un instant de lui. Il paraît qu’il m’a vu et reconnu ; mais j’en ai assez, je pars maintenant pour tout de bon. Que Dieu le bénisse ! que Dieu fortifie la chère Frances !

Je le retins pourtant cette nuit encore, que je passai debout avec lui. De temps à autre, j’allais aux nouvelles. Vers le matin, je pus lui annoncer que son père avait eu une nuit paisible et qu’il dormait d’un bon sommeil. Il pouvait dès lors partir avec plus de sécurité. Je lui fis quelque temps la conduite et promis de lui donner des nouvelles en lui écrivant à l’adresse de Richard Smithson.

Le général échappa pour cette fois, mais son rétablissement fut lent. Il restait faible et à peu près paralysé des bras et des jambes. Je pus rester tout un temps aux côtés de Frances, que j’assistais de mon mieux et à qui je rendis maint petit service. L’un de nous deux devait toujours être auprès du convalescent, car Rolf avait plus de bonnes intentions que d’habileté comme garde-malade. Il aurait aisément provoqué une rechute par les singuliers conseils qu’il donnait au général. Frances me savait bon gré de ce que je restais près d’elle. Elle ne comprenait pas comment je conciliais cette prolongation de séjour avec mes occupations. Elle ne savait pas que ma plus pressante, ma plus chère occupation était de demeurer près’d’elle et de gagner toujours plus son affection. Sublime de dévoûment auprès de son grand-père, elle avait oublié tous les torts qu’il avait eus envers elle et se reprochait de lui avoir fait de la peine par son