Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
302
REVUE DES DEUX MONDES.

franc-parler. Toutefois, à mesure que le vieillard se rétablit, elle dut se persuader de nouveau qu’une certaine fermeté était absolument nécessaire. Lui-même, dans un moment lucide, m’avait chargé de recevoir et d’ouvrir ses lettres. J’acquis ainsi la certitude qu’il se livrait à des spéculations dangereuses et qu’il faisait encore des dettes à l’insu de Frances. Quand je le crus assez bien pour supporter une conversation de ce genre, je m’efforçai de lui remontrer les fatales conséquences que sa persistance dans ce jeu périlleux aurait pour lui-même et surtout pour Frances. La maladie l’avait-elle rendu plus sage ? Le fait est qu’il me promit d’y renoncer pour toujours et m’engagea à vendre le Werve aux conditions les plus avantageuses. Il était temps. Overberg consentait bien à attendre encore ; mais van Beek, l’exécuteur testamentaire, l’homme de la légalité rigide, perdait patience. Et je n’étais pas encore sûr de Frances ! Vous penserez que j’étais bien timide, si ce n’est bien poltron. Que vous dirai-je, mon ami ? mon éducation, ma vie retirée, m’ont en effet rendu très timide avec les femmes. Je crois pouvoir sans me vanter affirmer que j’ai quelque courage, mais c’est uniquement quand j’ai affaire à des hommes. J’avais peur, oui, j’avais peur de l’entêtement de Frances à ne pas vouloir se marier, lors même que j’aurais fait une certaine impression sur son cœur. Je me rappelais constamment la terrible parole du jardin : avons ne me tiendrez plus un tel langage. » Je tremblais à l’idée qu’une nouvelle tentative pourrait amener sur ses lèn’es un non absolu et définitif.

Le vieux général m’avait deviné, j’en avais la conviction. Il insistait toujours pour que je me réconciliasse avec mon oncle le ministre, et que je préparasse Frances à la vente du château. Je lui assurai, quant à ce dernier point, que Frances serait raisonnable, et, muni de son autorisation écrite, j’allai à Z… m’aboucher avec Overberg. Yan Beek n’était décidément plus maniable ; il faisait pleuvoir chez Overberg des liasses de papiers timbrés à la charge du général. C’était une situation tout à fait désespérée. Je chargeai Overberg d’écrire à van Beek que la vente du Werve aurait lieu prochainement et, selon toute vraisemblance, en même temps que mon mariage avec Frances, et moi, pensant que les hommes d’affaires nous laisseraient bien un répit de quelques jours, je retournai au château, rapportant quelques babioles pour le général et le capitaine, ainsi qu’une parure pour Frances, puisque le moment n’était pas encore venu de pouvoir lui offrir des diamans comme à ma fiancée.

À ma grande surprise, je trouvai Frances plus triste et plus soucieuse que je ne l’avais quittée. Elle reçut mon cadeau avec une in-