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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/313

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LE MAJOR FRANS.

quand même je subis les déplorables conséquences de la faute que j’ai commise ?

— J’écoute, Frances ; mais,… excusez-moi,… je ne vous comprends pas bien. N’était-il pas question d’un enfant dont vous devez prendre soin ?

— Mais sans doute, et ce n’est pas le fardeau le plus lourd, j’ai la mère aussi à ma charge.

— Frances, pardon ! m’écriai-je transporté de joie.

— Mais c’est moi maintenant qui ne vous comprends plus, reprit-elle avec une adorable naïveté. Est-ce donc une charge légère pour moi, dans la situation que vous savez, d’élever un enfant et de pourvoir aux besoins d’une mère folle ?

Grand Dieu ! si elle avait deviné la conclusion que j’avais tirée des paroles et des manières de la vieille !

— C’est la suite fatale de mon entêtement téméraire avec le pauvre Harry Blount, continua-t-elle. Vous savez comment et par la faute de qui il est mort. Il fut transporté presque expirant dans la cabane qu’habitaient cette femme Jool et sa fille. Dans mon désespoir, je répétais sans cesse : C’est moi, c’est moi qui l’ai tué ! J’appris alors bien autre chose. La fille Jool était en secret l’amoureuse de Blount ; il lui avait promis le mariage, et elle allait bientôt devenir mère. La malheureuse était folle de douleur. Harry ne put me dire que ces quelques mots : Ayez pitié de ma pauvre fiancée ! Je lui promis solennellement que je prendrais soin d’elle, et je tins parole. La mère était et est toujours une vilaine femme ; elle avait jeté elle-même sa fille dans les bras de Blount, qu’elle considérait comme un brillant parti. Elle voulait le forcer à l’épouser. Frustrée dans son espoir, elle exploita mes cris de douleur, et fit si bien avec sa langue infernale que je fus sérieusement accusée d’avoir assassiné Blount. Cela même alla au point que nous dûmes prier un magistrat de notre connaissance de prendre quelques mesures pour couper court à ces calomnies. Tout cela ne me déchargeait pas de mes obligations envers la fille. Elle avait à peine donné le jour à son enfant que les symptômes de la folie se déclarèrent. On ne pouvait lui laisser le petit être. La mère Jool avait encore une fille mariée avec un paysan du village d’O… et qui venait de perdre son enfant. Je promis de payer les mois de nourrice, j’avais déjà fourni la layette ; puis il fallut m’occuper de la pauvre folle. En vérité, sans ma rencontre avec la tante Roselaer, je n’aurais jamais pu suffire à tant de dépenses. Là-dessus la femme Jool alla demeurer chez ses enfans, sous prétexte de prendre soin du petit nourrisson, en réalité pour m’exploiter plus aisément. Elle trouve toujours moyen de me soutirer plus d’argent. L’enfant est sevré depuis longtemps et ne devrait plus rester entre leurs mains. Je les