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Nous rentrâmes, et à notre grande surprise nous trouvâmes Rolf et le général impatiens de nous revoir, mais de très bonne humeur. Mon grand-oncle rangeait des papiers et ne nous laissa pas le temps de lui annoncer, comme c’était notre intention, la grave décision que nous venions, Frances et moi, de prendre. — Frances, s’écria-t-il en lui montrant une lettre, pourquoi tardez-vous tant à rentrer quand j’ai de si bonnes nouvelles à vous communiquer ?

— C’est que j’en ai aussi, grand-père ; mais qu’avez-vous pour être si content ? Vous n’héritez pourtant pas de la tante Roselaer ?

— Cela revient presqu’au même, mon enfant. Sachez que vous êtes demandée en mariage par l’héritier de la tante Roselaer, qu’il y est obligé par le testament, et que sa demande ne pourra rien coûter à votre cœur.

Je souriais, tout en trouvant qu’Overberg et van Beek s’étaient trop hâtés d’informer le vieux baron du véritable état des choses. J’aurais tenu à faire moi-même à Frances cette agréable surprise. Frances quitta mon bras et dit d’une voix ferme au général : — Je suis fâchée, grand-père, de vous désappointer, ce monsieur arrive trop tard, et je venais précisément vous demander d’approuver l’engagement que je viens de contracter avec mon cousin Léopold de Zonshoven.

— Mais tant mieux, chère enfant, tant mieux, car l’héritier de Mlle Roselaer, votre mari désigné et votre cousin de Zonshoven sont une seule et même personne.

Frances se redressa brusquement et me regarda en face. — Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, Léopold ? ce n’est pas vrai ! dites que ce n’est pas vrai !

— Je mentirais, Frances, lui répondis-je. Il en résulte simplement que vous avez accordé votre main à un homme que vous aviez lieu de regarder comme un a jeune homme pauvre, » et que, semblable à un prince des contes de fées, il se transforme en millionnaire. Cette surprise vous serait-elle désagréable ?

Ses yeux étincelèrent, et c’est d’un ton où la colère se mêlait à l’expression d’une douleur poignante qu’elle me reprocha d’avoir mis un masque pour tromper sa bonne foi. — Comment ! vous parvenez à m’inspirer de l’estime en faisant preuve de dignité fière, de sentimens élevés, et vous prétendez que je suis heureuse d’apprendre que tout cela n’était qu’une comédie ! Et c’est un gentilhomme qui agit de la sorte envers moi ! Vous vous êtes trompé, monsieur de Zonshoven. J’avais donné mon cœur au jeune homme sans fortune dont j’aimais la droiture et la noblesse d’âme, en qui je croyais comme en moi-même et plus qu’en moi-même ; mais l’intrigant qui accapare la fortune de ma tante, et qui pour se l’assurer se déguise afin de surprendre les sentimens de la femme qu’on lui