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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/317

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LE MAJOR FRANS.

ordonne d’épouser, cet hypocrite, ce faux sage, je le refuse, et je ne puis lui accorder que… mon mépris.

J’avais d’abord voulu la détromper, lui mettre sous les yeux la réalité ; ce dernier mot me fit sortir de mon calme. — Prenez garde, Frances, je sais que vous êtes violente et que vous regrettez souvent les paroles qui vous échappent dans vos paroxysmes ; mais ne jetez pas de pareilles insultes à la face de celui que vous venez d’accepter pour votre mari, que personne ne lui a jamais adressées et qu’il ne recevra pas impunément de qui que ce soit.

— Ne dirait-on pas que je vous dois des excuses, à vous qui m’avez abusée, qui m’avez menti, qui vous êtes introduit ici comme un espion, qui avez poursuivi votre bas calcul jusqu’au moment où vous pensiez que je ne pourrais plus me dédire ? Encore une fois, monsieur, vous vous êtes trompé sur mon caractère. Je ne pardonne jamais un abus de confiance.

— Je n’ai point abusé de votre confiance, mademoiselle, répliquai-je d’une voix plus calme, j’ai voulu seulement apprendre à vous connaître, j’ai voulu gagner votre affection avant de risquer l’aveu de mes sentimens, voilà tout.

— Vous avez été faux, vous dis-je. Je ne crois plus à votre amour. Vous êtes venu ici faire ce qui s’appelle une bonne affaire, gagner votre million. C’est vrai, je vous ai aimé, mais tel que vous étiez, non pas tel que je vous vois depuis un moment. Je ne laisse la disposition de ma main à personne, mort ou vivant, et quant à vous, je vous refuse,… entendez-vous ? je vous refuse ! — Sur ce mot terrible, elle tomba sur un fauteuil pâle comme une morte.

J’étais moi-même obligé de m’appuyer sur le dos d’une chaise. Je sentais mes jambes fiéchir sous moi. Le bon Rolf s’était retiré au fond de la chambre les larmes aux yeux. Le général, l’angoisse peinte sur la figure, s’agitait sur le siège qu’il ne pouvait quitter. — Frances ! Frances ! disait-il, ne vous laissez pas emporter ainsi. Songez que le château est hypothéqué jusqu’à la dernière pierre, que depuis six mois les rentes ne sont pas payées, qu’en le vendant nous n’en tirerons pas le tiers de la somme dont il est grevé, que nous devons tout à la générosité de M. de Zonshoven. Il veut bien me reprendre le Werve avec toutes les charges qui pèsent sur l’immeuble, et me servir en outre une rente qui garantira la tranquillité de mes derniers jours ; mais il faut que vous soyez sa femme, autrement tout ce beau plan s’en va en fumée. N’offensez donc pas un homme qui nous veut tant de bien et qui vous aime, comme je m’en suis aperçu tous ces derniers temps. Et nous n’avons pas affaire seulement à lui. Il y a un testament, un exécuteur, un procureur… Que dois-je répondre à M. Overberg ?