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LE MAJOR FRANS.

— Informez-vous du lieu qu’habite en ce moment Frances, faites qu’elle revienne au Wen’e, mais ne lui dites pas qu’elle m’y verra.

Au même instant, mon hôtesse m’apporta un télégramme d’Overberg ainsi conçu : Votre présence immédiate indispemable ; pas d’arrangement possible ; F. M. a quitté le château.

Je n’hésitai plus ; sans attendre l’avis du docteur, je fis en toute hâte mes préparatifs. J’étais tellement secoué par toutes ces nouvelles que j’avais retrouvé toute ma vigueur.

À mon hôtel à Z…, je fus bien surpris de trouver une lettre de Rudolf, qui pérégrinait toujours avec sa troupe dans les provinces de Gueldre et d’Overyssel. « Si vous voulez empêcher Frances, me disait-il, de faire la plus grande sottise de sa vie, ayez soin de venir me trouver demain vers neuf heures à l’auberge de Halfweg entre L… et Z… » Je me promis bien de ne pas manquer au rendez-vous. Le même soir, j’allai chez Overberg, qui me confirma ce que je savais déjà et m’expliqua ce qui m’était encore obscur. C’était bien van Beek qui avait voulu que les choses fussent poussées à outrance, et je n’eus pas de peine à obtenir de lui que tous les délais désirables seraient accordés. Il m’apprit de plus une chose que j’ignorais. Un autre notaire avait envoyé copie d’un codicille rédigé sur l’ordre de tante Sophie la veille même de sa mort et par lequel Mlle Roselaer léguait à sa petite-nièce Frances Mordaunt une rente annuelle de trois mille florins en prévision du cas où son mariage avec M. de Zonshoven ne pourrait avoir lieu, et j’étais tenu de la lui servir, à la condition toutefois qu’elle ne contractât mariage qu’avec mon approbation. Toujours prévoyante la tante Sophie I Je chargeai Overberg d’annoncer la chose à Frances. Elle trouverait sa missive au château. Elle y trouverait aussi mon paquet, que je reconnus bien vite parmi les papiers du général. Overberg, reconnaissant mon écriture, avait voulu le renvoyer à son adresse, mais Frances avait déjà quitté le Werve. Je réitérai mes recommandations et partis pour me trouver au lieu et à l’heure indiqués.

— Le monsieur et la dame sont en haut, me dit l’aubergiste.

Je me hâtai de monter, et je découms Rudolf et Frances presque cachés derrière la balustrade d’une tribune qui pouvait servir d’orchestre dans une grande salle. Frances me tournait le dos. Je voulus les prévenir de ma présence : la parole me manqua. J’avançais en tremblant. Rudolf disait à Frances :

Nonsense, my dear ! vous ne connaissez pas la vie que vous voulez mener. Liberté, indépendance ? dites-vous ; mais c’est l’esclavage, le fouet y compris. Pensez-vous que chez nous la chambrière ne soit de service qu’avec les chevaux ? Croyez-vous qu’on est galant envers les femmes, parce que devant le public on les aide