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mieux, que ces maudits hommes d’affaires commencèrent à instrumenter contre le général. Elle dut tenir tête toute seule à cette engeance, car mon pauvre général fut victime d’une seconde attaque. Ces gens-là lui ont donné le coup de la mort.

Le capitaine oubliait d’ajouter, ce que plus tard j’appris, qu’il avait hâté lui-même la mort du baron en lui administrant du vieux cognac sous prétexte de lui donner des forces.

— Quand il eut fermé les yeux, continua-t-il, le notaire d’Arnhem, qui avait sous sa garde le testament du général, et M. Overberg, conseillèrent à Frances de s’arranger à l’amiable avec vous ; mais elle n’en voulut rien entendre. Vous comprenez, c’est en votre nom qu’on avait poursuivi le général…

— Et pendant que j’étais cloué dans mon lit, ignorant tout !

— C’est ce que ces pharisiens savaient bien, mais ils avaient votre procuration, et Frances disait : — Voilà donc la contrainte dont il me menaçait ! Et il s’imagine que je céderai ? Jamais ! — Il fallait voir comme elle était pâle, mais ferme, quand tous ces grippeminauds sont venus au château pour faire l’inventaire ! Après cela ce fut mon tour. — Mon brave Rolf, me dit-elle, c’est comme cela qu’elle sait toujours me prendre, mon brave Rolf, dites-moi bien franchement, n’avez-vous pas sacrilié le plus clair de votre héritage à mon grand-père ? — Mais non, mais non, maj… mademoiselle, nous avons consommé ensemble une petite somme qui nous venait d’un bon billet sorti à la loterie. Le général voulut essayer si, avec sa part, il ne pourrait faire encore de meilleures affaires, mais moi je préférai user de la mienne pour nous donner du bon temps à tous deux. — Vous n’avez donc pas hérité ? — Pardonnez, j’ai hérité d’une jolie petite ferme dans le Nord-Brabant, où j’ai toujours eu idée de me retirer un jour. Je peux y vivre bien gentiment ; j’ai encore ma pension par là-dessus. La vie est à bon marché dans ce pays-là, et, à défaut de château, mademoiselle y trouverait encore une bonne chambre… — Merci, bien merci, mon bon capitaine. Il me suffit de savoir que vous pourrez y’ivre sans souci. Il faut nous séparer, mon brave Rolf. — Et où allez-vous ? — C’est ce que je ne peux vous dire, mais vous ne pouvez me suivre. — C’est ainsi qu’il fallut nous quitter. C’est en passant par La Haye que j’appris que vous étiez malade, ce qui me donna lieu de penser que vous ignoriez tout.

— Savez-vous ce qu’il vous faut faire, Rolf ? Retournez dans une heure d’ici au Werve. Je vais vous donner une lettre pour qu’il soit sursis à toute opération judiciaire. Demain ou après-demain, je vous rejoins. Ayez soin de retrouver mon paquet.

— Il est sans doute chez M. Overberg avec tous les papiers trouvés chez le général.