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et je lui envoyai moi-même le paquet par un exprès. J’étais anxieux de savoir ce qu’il pouvait contenir, et je désespérais de trouver un moyen convenable de satisfaire ma curiosité, quand le lendemain de bonne heure je vis arriver le vieux Frits avec un billet de sa maîtresse qu’il avait ordre de ne remettre qu’à moi-même. J’en déchirai l’enveloppe d’une main tremblante, et je lus :

« Mon cousin, il faut absolument que je vous voie avant votre départ. Vous m’avez assuré que vous ne refuseriez jamais vos bons offices à une femme qui réclamerait les privilèges de son sexe. Puis-je espérer que vous ne refuserez pas de venir encore une fois au Werve pour avoir avec moi un dernier entretien ? Au lieu de vous écrire, j’aurais préféré venir vous trouver en perso*nne ; mais j’ai eu peur de vous scandaliser. Faites-moi savoir par Frits votre jour et votre heure. » « f. m. »

Ma réponse fut de partir sur-le-champ avec le brave serviteur. Ballotté entre mille craintes et mille espérances, je crus que le monde entier tournait autour de moi quand je franchis le vieux pont qui conduisait par le jardin à la grande porte d’entrée. Rolf nous attendait sur le perron et me fit entrer sans mot dire dans le grand salon.

Frances était assise sur le sofa que je connaissais si bien, repliée sur elle-même, plus pâle encore que la veille, mais adorablement belle dans ses vêtemens de deuil. Elle se leva promptement et vint à moi.

— Merci, Léopold, d’être venu si vite ; je savais bien que vous viendriez, je comptais sur votre générosité.

— Et… suis-je encore méprisable à vos yeux, Frances ? Vous avez reçu mon paquet, lu la lettre de tante Sophie ?

— J’ai tout reçu, j’ai tout lu. Il ne m’en fallait pas tant pour que je rae reconnusse coupable envers vous. Maintenant je suis prête à confesser devant tous que je vous ai fait tort. Me pardonnez-vous sans réserve ?

— Est-il besoin de le demander, Frances ? Mais de votre côté vous ne douterez plus de moi, plus jamais, n’est-ce pas ?

Elle resta un moment silencieuse et répondit enfin à voix basse :

— Non, jamais, plus jamais.

J’aurais voulu la presser contre mon cœur, mais il y avait en elle quelque chose de contraint, de gêné qui me retenait encore.

— Asseyez-vous, Léopold, me dit-elle ; maintenant que nous sommes réconciliés, j’ai un conseil à demander à mon plus proche parent. — En même temps, elle dépliait devant moi le paquet venu d’Angleterre.