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LE MAJOR FRANS.

— Lord William est mort, continua-t-elle, veuillez lire cette lettre à mon adresse, qui se trouvait jointe à son testament.

J’eus de la peine, dans mon trouble, à comprendre ce que je lisais ; pourtant j’y parvins. Cette lettre était un adieu court et sérieux qui n’exprimait que des sentimens d’amour paternel. Toutefois je lus entre les lignes qu’il avait dû lutter contre lui-même pour ramener son cœur au calme. Évidemment lord William avait emporté avec lui un trait douloureux. Il terminait par des vœux ardens pour le bonheur de sa jeune amie, en exprimant le désir qu’elle trouvât un jour un époux digne d’elle, et en la priant de recevoir comme cadeau de noces le legs qu’il lui faisait dans son testament, — afin, disait-il, qu’aucune considération matérielle ne la forçât à faire un autre choix que celui de son cœur. — Le nom de famille de lord William était un nom illustre dans la science et dans la politique.

Suivait une lettre de son neveu, héritier de son titre et de son immense fortune, qui donnait à Frances l’assurance de sa disposition à remplir scrupuleusement la volonté du défunt. Frances se trouvait par là dotée d’une rente viagère annuelle de cinq mille livres sterling.

— Dois-je accepter, Léopold ? me demanda-t-elle.

— À mon avis, vous ne pouvez refuser, France*. Vous avez toujours passionnément désiré l’indépendance, et c’est une main amie qui vous l’offre.

— Vous avez raison, Léopold, j’accepte. Maintenant ma fierté n’a plus à se débattre avec mon cœur. Si je choisis un mari, on ne pourra plus me soupçonner d’avoir cédé à la nécessité ou à la cupidité. Et serai-je par là assez riche pour racheter le Werve ?

— Non, Frances ; le Werve est à quelqu’un qui ne le cédera à aucun prix. Si vous tenez à devenir baronne de Werve, il vous faut prendre une autre résolution.

— Léopold, me dit-elle en se levant, vous dites que l’indépendance a toujours été mon vœu le plus ardent. C’est possible, mais aujourd’hui je comprends que mon plus grand bonheur serait de dépendre de l’homme que j’aime. Léopold, tante Roselaer m’a légué une rente que je n’accepte pas, cela va sans dire ; mais ses intentions à mon égard étaient bienveillantes, et je veux bien suivre le conseil de ma vieille parente. Elle m’a prescrit de ne pas contracter mariage sans votre assentiment. Eh bien !..

Alors, avec un indéfinissable mélange de grâce, de confusion et de malice, elle s’agenouilla devant moi et me dit : — Léopold, je voudrais épouser mon cousin de Zonshoven ; avez-vous des objections ?

TOME X. — 1875. 21