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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/719

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mourir de faim, et les institutions que pourraient lui procurer les Anglais le laisseraient insensible. « Bonaparte, a dit M. Kinglake, avait espéré conquérir l’amitié des Égyptiens en leur promettant une constitution, c’était agir comme le chasseur qui se flatterait d’arriver à remplir sa gibecière en promettant à des perdrix une chambre des communes. » Il est vrai que M. Dicey, qui est un écrivain fort sensé, n’a garde de promettre aux fellahs une chambre des communes ; il ne leur octroie qu’un résident. De deux choses l’une, ou tout le monde se plaindra de ce résident, ou il sera lui-même de tous les hommes le plus à plaindre.

Avant de faire parler les gens il serait bon de les consulter. M. Dicey prétend que non-seulement la conquête de l’Égypte par les Anglais serait agréable à l’Égypte, mais que personne n’y trouverait à redire. M. Dicey fait bon marché des intérêts français à Alexandrie et au Caire, et il tient pour constant quel la terre des Pharaons n’a pour la France qu’une valeur de fantaisie, que si l’Angleterre passait cette bague à son doigt, la France en prendrait son parti ; que si elle n’en prenait pas son parti, on la consolerait facilement comme un enfant boudeur en lui donnant un joujou. — Proposez aux Français, dit-il, le choix entre la possession de l’Égypte et le protectorat de la Palestine, 99 sur 100 choisiront la Palestine. — M. Dicey ait-il fait voter les cent Français ? Il en est assurément qui prendraient en patience tous les malheurs de leur pays s’ils avaient la joie de sentir dans leur poche la clé du Saint-Sépulcre ; mais ces Français ne sont pas la France. Pour ne rien dire de ses intérêts, la France a des souvenirs, et, bien que ses malheurs lui aient appris la résignation, elle ne se résigne pas à tout oublier. Ne parlons pas de la bataille des Pyramides ; mais la France se souviendra toujours que l’une des plus grandes entreprises du siècle, le percement de l’isthme de Suez, a été l’ouvrage de son génie et de sa noble obstination, qui a lassé les résistances et le mauvais vouloir du gouvernement britannique. La France n’a aucune envie de prendre l’Égypte, et elle est disposée à tenir grand compte des intérêts anglais à Port-Saïd et dans la Mer-Rouge ; l’achat des 176,000 actions du canal de Suez par l’Angleterre ne l’a émue que parce qu’elle croyait y voir un acheminement à une conquête. Si cette conquête s’accomplissait, c’en serait fait à jamais de l’entente cordiale entre les deux pays, entente précieuse, également nécessaire à l’un et à l’autre.

Les annexionnistes anglais ne peuvent plus s’abuser sur les sentimens de la France. Leurs illusions, s’ils en avaient, ont été dissipées par la vigilance et la franchise de notre nouveau ministre des affaires étrangères. Le premier soin de M. Waddington a été de s’expliquer à ce sujet avec le gouvernement britannique il a tenu à lui faire savoir que la France entendait pratiquer dans les affaires d’Orient une politique absolument désintéressée, qu’elle ne voulait avoir aucune part