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afin de donner une idée de la situation périlleuse dans laquelle se trouvait encore une fois la mission : « Nous voici sans églises, offrant le saint sacrifice dans de bien pauvres cabanes, ayant pour autel un banc ou tout simplement une planche : notre petite croix, fixée sur un mur de boue, est le seul ornement qui brille sur cet autel ; de la main, et même souvent de la tête, on touche à la voûte de ces oratoires ; la nef, le chœur, les ailes, les tribunes, se composent de deux petites chambres dans lesquelles nos chrétiens et nos chrétiennes sont entassés. »

En 1866, Mgr Berneux et MM. de Brétenières, Beaulieu, Dorie, Pourthié, Petit-Nicolas, Mgr Daveluy et MM. Aumaître et Huin, ainsi que de nombreux indigènes chrétiens, étaient torturés, puis décapités sur les berges du fleuve qui baigne la capitale, non loin du village de Sai-Nam-To. Le jour de cette épouvantable exécution, quatre cents soldats qui accompagnaient les martyrs, se rangèrent en demi-cercle en face de la tente d’un mandarin. On déposa les prisonniers à terre, au centre du cercle que formait la troupe, au pied d’un grand mât sur lequel flottait un drapeau blanc, puis, descendus de leurs chaises à porteur, on les dépouilla de leurs vêtemens, à l’exception d’un caleçon. Mgr Berneux fut appelé le premier. Ses bras sont liés sur le dos ; un bourreau replie l’une contre l’autre les deux extrémités de chaque oreille et les traverse, de haut en bas, par une flèche qui y demeure fixée. Deux autres bourreaux aspergent d’eau le visage et la tête, qu’ils saupoudrent ensuite de chaux ; puis, passant deux morceaux de bois sous les bras du supplicié, ils le soulèvent et le montrent aux spectateurs en lui faisant faire huit fois le tour de la place, rétrécissant chaque fois le cercle qu’ils forment en marchant, de manière que, à la fin du huitième tour, ils se trouvent au milieu du terrain. Mgr Berneux est alors placé à genoux, la tête inclinée en avant, retenue par les cheveux liés à une corde que tient un soldat. Six bourreaux brandissent de longs coutelas, tournent autour de lui, en exécutant une danse sauvage, tout en poussant des cris horribles ; chacun d’eux frappe comme et quand il veut. Au troisième coup, la tête du vénérable évêque roule sur le sol, et soldats et satellites s’écrient à la fois : « C’est fini ! » On ramassa aussitôt la tête, et, selon l’usage, on la plaça sur une petite table, avec deux bâtonnets, et on la porta au mandarin pour qu’il pût constater de ses propres yeux que c’était bien la victime exigée. Les bâtonnets servent à remuer la tête, s’il prend fantaisie à l’un des assistans de la retourner. Celle-ci est ensuite rapportée près du corps et fixée, par les cheveux, à un poteau au-dessous d’une planche où est écrite la sentence. On répéta les mêmes cérémonies et les mêmes évolutions lentes et cruelles pour les autres confesseurs. Au mois de septembre 1866, on reçut