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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/906

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à Paris, au séminaire des Missions étrangères, une lettre de Mgr Ridel[1]. Elle donnait les premiers détails des événemens que nous venons de résumer. Les aspirans martyrs étaient en récréation à Meudon, dans la maison de campagne qu’ils y possèdent. Le soir, le supérieur les réunit et leur annonça que neuf de leurs confrères, dont deux évêques et sept missionnaires, avaient versé leur sang pour leur foi. Les séminaristes improvisèrent aussitôt une illumination et entonnèrent le Te Deum.

Le gouvernement impérial prit autrement la chose : il ordonna au contre-amiral Roze de se rendre en Corée avec la frégate la Guerrière, les corvettes à hélice le Laplace et le Primauguet, les avisos le Déroulède et le Kien-Chan, les canonnières le Tardif et Lebrethon. Le 22 septembre 1866, trois bâtimens de l’escadre s’engageaient dans un chenal qui devait les conduire en vue de la capitale, et le 25, après de nombreux échouages, le Tardif et le Déroulède mouillaient en face de ses murailles. Le 30, les mêmes bateaux redescendaient la rivière sans rien obtenir du gouvernement coréen. Le 16 octobre, la ville de Kang-Hoa, dans l’île de ce nom, fut prise. Quelques soldats coréens se firent bravement tuer à leur poste ; mais les habitans ayant pris la fuite, on ne se trouva occuper qu’une cité déserte. Dans le yamoun, ou résidence du gouverneur, on rencontra des arcs, des flèches, et, en très grand nombre, des sabres, des fusils à mèches et des canons en cuivre se chargeant par une cavité placée près de la culasse. La bibliothèque de ce palais était très riche. Elle se composait de deux ou trois mille livres imprimés en chinois, avec de jolis dessins, sur beau papier, tous bien étiquetés, la plupart très volumineux, reliés avec des plaques en cuivre sur des couvertures en soie verte ou cramoisie. On y trouva une histoire ancienne de la Corée en soixante volumes. Ce qu’il y avait de plus curieux, c’était un livre formé de tablettes de marbre se repliant, comme les panneaux d’un paravent, sur des charnières en cuivre très bien polies, avec des caractères dorés incrustés dans le marbre, et chaque tablette protégée par un coussin de soie écarlate ; le tout placé dans un joli coffre en cuivre, lequel était à son tour renfermé dans une boîte de bois peinte en rouge, avec ferremens en cuivre doré. Ces tablettes carrées formaient, en se développant, un volume d’une douzaine de pages. Elles contiennent, au dire des uns, les lois morales du pays,

  1. Mgr Ridel a acquis une réputation universelle dans ce pays, qu’il a parcouru plusieurs fois, soit comme missionnaire et alors vêtu d’un costume indigène, soit comme prisonnier et conduit de station en station, pour être finalement jeté dans un des cachots de la capitale, d’où il a pu s’échapper. Il est très rare que l’on converse avec un Coréen sans que sa première question soit : « Connaissez-vous l’évêque Ridel ? Il parle le coréen exactement comme nous. »