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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/683

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moment on crut observer qu’il était plus nerveux que de coutume. Pendant le second tour de scrutin, il dit au cardinal Hohenlohe, qui votait pour lui : « Voulez-vous faire pape un homme dont la vie sera bien courte? Ne me choisissez pas, je serais un second Adrien V. » Dans la nuit qui précéda son élection, quelqu’un dit à l’abbé Foschi, son conclaviste : « Sois donc gai, demain ton cardinal sera pape. Mais que fait le cardinal? — Il est agité, il ne veut voir personne; il ressemble à un navire battu par la tempête. » — « Le calice est amer, soupirait-il; éloignez-le de mes lèvres. « Il se décida pourtant à le boire.

Dans cette même nuit, le cardinal Ferrieri se plaignait que le conclave souffrît « d’une fâcheuse pénurie de cardinaux papables. » Joachim Pecci n’avait que deux concurrens sérieux. Alexandre Franchi, orateur éloquent et agréable causeur, qui remplissait la haute charge de préfet de la propagande, ressemblait plus « à un grand personnage mondain, dispensateur de grâces, qu’à un cardinal de la sainte église. » Jeune encore, comptant à peine cinquante-neuf ans, pétri de petites vanités, l’air avantageux, le ton décisif, le visage plein et l’esprit plein de lui-même, il avait une grande clientèle, de nombreux courtisans, dont il récompensait les flatteries par des promesses qu’il ne tenait pas toujours. Les Espagnols souhaitaient son élection, mais les cardinaux romains, jaloux de sa fortune, l’accusaient de présomption et se défiaient de ses imprudences. Franchi convoitait ardemment la tiare ; Bilio, le grand pénitencier, la redoutait plus qu’il ne la désirait. Il avait des amis chauds, qui combattaient ses scrupules ; ses ennemis lui reprochaient son origine piémontaise et son aveugle attachement à la politique de résistance de Pie IX. Plus l’heure fatale approchait, plus il était timoré; il décourageait ses électeurs. Quand il se fut désisté par une renonciation expresse, il parut aussi tranquille que Pecci était ému. « Dans sa cellule, nous dit M. de Cesare, régnait le calme le plus parfait. Le cardinal barnabite, sûr de n’être pas élu pape, jouit d’une paix absolue pendant les trente-six heures du conclave. Il passa son temps à prier dans la chapelle, à lire son bréviaire ou à réciter son chapelet en compagnie de son conclaviste, qui était son confesseur. « Il préférait sincèrement son repos à la gloire de ceindre la triple couronne, d’être porté dans la chaise gestatoire et de s’entendre dire : Tu es Petrus.

Joachim Pecci avait encore un titre à la faveur du sacré-collège: de tous les cardinaux papables, il était peut-être celui dont Pie IX aurait le moins voulu pour son successeur. Les papes sont les monarques dont les dernières volontés sont le moins respectées. A peine un souverain-pontife a-t-il rendu le dernier soupir, le camerlingue, armé d’un maillet d’argent, frappe trois petits coups sur le front du mort et l’appelle par son nom ; ne recevant point de réponse, il tombe à genoux