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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/684

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et annonce à haute voix que le pape a cessé de vivre, ce qui revient à dire qu’il a cessé de vouloir. Au surplus, les longs règnes engendrent les dégoûts; les amitiés se refroidissent, les espérances se lassent, les impatiens cabalent, on n’est plus sensible qu’à la grâce des nouveautés. Quand Grégoire XVI mourut après quinze ans de pontificat, le cardinal Lambruschini, son secrétaire d’état, qui partageait toutes ses idées, toutes ses passions, qu’on avait surnommé son grand-vizir, se tenait pour assuré de sa succession; Mastaï Ferretti, évêque d’Imola, eut 35 voix, Lambruschini n’en eut que 8. Pie IX avait régné trente-deux ans, et, après avoir été le plus libéral des papes, il avait étonné le monde par l’audace de ses défis et par l’opiniâtreté de ses résistances. On sentait le besoin d’une détente, on voulait mettre sur le trône pontifical un opportuniste, un modéré, un de ces hommes qui s’entendent à accommoder les affaires par de sages tempéramens. Le cardinal Pecci n’avait jamais été en grande faveur auprès de Pie IX. Après l’avoir tenu longtemps à distance, on lui avait conféré à contre-cœur la dignité de camerlingue, qui lui permit de se fixer à Rome, mais qui semblait l’exclure de la papauté, étant contraire à l’usage qu’un camerlingue en fonctions succède au pape. Le conclave voulait un politique, et au mépris de la tradition, Pecci fut élu.

Chose singulière, ce modéré eut pour principal électeur un homme qui ne se piquait pas de modération; ce fut un intransigeant qui le fit pape. Parmi les cardinaux qui ne sont point papables, et qu’on appelle les cardinaux papifians, il se rencontre toujours quelque personnage marquant qui a de l’autorité, du manège, le génie de l’intrigue. N’ayant pas de prétentions personnelles, et convaincu qu’il n’aurait point de chances s’il travaillait pour lui-même, il s’attelle à la fortune d’autrui et dépense toute sa politique, toute son habileté pour assurer le triomphe de son candidat. On a toujours quelque plaisir à exercer ses talens, dût-on n’en retirer aucun profit; aussi bien, le désintéressement obtient de temps à autre sa récompense dans ce monde, nos obligés ne sont pas toujours des ingrats,

Joachim Pecci trouva le secours le plus inattendu et le plus efficace dans le cardinal Bartolini, que Pie IX, le raillant sur son extrême embonpoint, appelait le cardinal Tonneau. Ce fin bonhomme, d’humble extraction, n’était parvenu au cardinalat qu’après s’être beaucoup remué, après avoir beaucoup roulé dans le monde; il avait visité l’Orient, s’était acquis un renom d’archéologue. Vif, emporté, d’humeur chaude, moins ambitieux pour lui-même que pour ses cliens, il était à la fois jovial et bourru. Dans la première congrégation, où les pères furent assermentés, n’ayant pas l’évangile sous la main, on le remplaça par un crucifix, que le secrétaire du consistoire portail çà et là dans l’assemblée, et quelques cardinaux se scandalisèrent eu entendant Bartolini crier de sa grosse voix à Mgr Lasagni : « Eh! attrapez