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Prague, il avait rencontré Novossiltsof, qui lui avait parlé du voyage de Stadion à Brünn et d’une entente possible entre les Autrichiens et Napoléon. A Iglau, le général bavarois Wrede le garda quarante-huit heures, sous le prétexte que Napoléon allait arriver. Enfin, le 28, il mit pied à terre à Brünn et reçut l’invitation de se rendre immédiatement chez l’empereur[1].

Il était environ trois heures de l’après-midi. Haugwitz abordait Napoléon, à la fois obséquieux, gêné, se guindant pour demeurer digne, et troublé de l’orgueil même où il était de représenter de si grands intérêts, — toute l’Europe ! — devant un aussi grand homme, vainqueur du continent. Napoléon lui fait un accueil glacial et le laisse parler. Haugwitz, assez embarrassé, tourne son embarras en diplomatie, se persuade qu’une parole imprudente, trahissant l’intention d’imposer sous couleur de médiation des articles convenus avec les ennemis, déciderait Napoléon à bâcler incontinent sa paix avec l’Autriche, et à rejeter toutes ses forces sur la Prusse. Il croit donc sage de « se plier aux circonstances, » d’amortir les premiers instans d’humeur, » et d’insinuer, très édulcorée, l’idée d’une médiation qui aurait pour suite une garantie générale, sur laquelle, d’ailleurs, il a de bonnes raisons de ne se point expliquer. Napoléon parut consentir à la médiation ; mais il y mit une condition péremptoire : « C’est que, dans l’intervalle de la négociation, il ne soit permis à aucunes troupes, soit russes, soit hanovriennes ou suédoises, de dépasser les frontières de la Hollande et d’y porter la guerre. » La chose parut à Haugwitz « de la plus stricte justice. » Napoléon n’eût pas fait mieux s’il eût connu les conversations d’Harrowby et de Hardenberg. Il coupait court à la combinaison des Anglais. Pour épargner à Haugwitz les incommodités d’un quartier général à la veille d’une bataille, il l’envoya conférer à Vienne avec Talleyrand, et il écrivit à ce ministre : « M. d’Haugwitz a mis dans la conversation beaucoup de finesse, je dirai même beaucoup de talent... J’en conserve cependant l’idée... qu’on était incertain à Berlin sur le parti à prendre. » Il avait deviné aussi l’intention hostile et le mouvement tournant, au cas où il serait battu.

  1. Rapport de Haugwitz sur sa mission. Ranke, Hardenberg, t. V, pièces.